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1 juin 2015 1 01 /06 /juin /2015 11:19

Un article de Giles Ji Ungpakorn

Lien:

http://redthaisocialist.com/english-article/55-red-shirts/766-theorising-the-thai-democracy-movement.html

 

Pour les observateurs extérieurs des manifestations anti-gouvernementales de la rue thaïlandaise, l'éventail des différents mouvements sociaux pourrait être une source de confusion, surtout quand ces derniers affirment tous être des mouvements "pour la démocratie". Certains ont tenté de classer les confrontations de rue en Thaïlande entre les Chemises rouges et jaunes comme un simple choc entre les différents partisans de l'élite. Mais nous avons besoin d'une analyse beaucoup plus sophistiquée.

D'un côté du spectre politique, nous avons "l'Alliance du peuple pour la démocratie" (PAD) ou les Chemises jaunes, les Chemises multicolores ou "Salim" qui sont une extension du PAD, puis le Parti Démocrate qui a dirigé des émeutes, lesquelles ont finalement détruit les élections de 2014. Ces monstres, dirigés par Sutep Tueksuban et le moine fasciste "Buddha-Issara" se sont nommés eux-mêmes le "Comité de la réforme démocratique populaire" (PDRC), ou, à certaines occasions, le "Comité du peuple pour la démocratie absolue avec le roi comme chef de l'Etat" (PCAD).

Malgré leurs noms trompeurs, les mouvements ci-dessus ont cherché à réduire l'espace démocratique en appelant à un coup d'Etat militaire ou à une intervention du roi contre les gouvernements élus. Ils ont affirmé que la majorité de l'électorat était trop stupide et inculte pour mériter le droit de vote. Selon eux, le manque d'éducation et d'information de l'électorat a permis aux gouvernements corrompus "d'acheter des votes" en offrant des manifestes pré-électoraux qui promettaient des politiques pro-pauvres tels que les soins de santé universels.

Ces mouvements sociaux sont de très bons exemples de "mouvements sociaux créés par le haut", mobilisés par la classe dirigeante afin de maintenir le statu quo face aux menaces contre leurs privilèges. Ceux qui sont mobilisés par le haut sont souvent des gens de la classe moyenne ou des chômeurs désabusés. Dans le cas de la Thaïlande d'aujourd'hui ce sont les classes moyennes urbaines qui ont été mobilisées, mais dans les années 1970 des gangs semi-fascistes comme les Krating Daeng et les Scouts de Village ont mobilisés aussi bien les classes moyennes que les chômeurs désabusés contre la gauche.

Après la fin de la guerre froide de nombreux universitaires ont été prompts à annoncer la fin de la lutte de classe et la naissance du soi-disant "nouveaux mouvements sociaux". Il a été dit que ces mouvements étaient atomisés car seulement motivés par une politique d'identité, pas de classe, et qu'ils n'exigeaient aucun changement au pouvoir d'Etat contrairement à la "vieille gauche". C'était une vue post-moderne myope et fragmentée de mouvements sociaux qui ont totalement ignoré le principal problème. Ils ignoraient toute l'histoire et les événements qui se produisaient dans d'autres pays. Chaque mouvement était considéré isolément malgré le fait que le mouvement des droits civiques, le mouvement des femmes et les mouvements LGBT faisaient tous partie de la même vague de protestations.

Indépendamment du fait que ces universitaires avaient proclamé la fin de la lutte de classe, les mouvements de la crise actuelle politique thaïlandaise actuelle concernent tous la lutte des classes. Pour les marxistes comme moi, la "lutte de classe" ne représente que la brute et pure lutte des travailleurs organisés contre la classe capitaliste. Elle implique tous ceux qui se sentent lésés par les effets de la domination de classe et leurs griefs peuvent déboucher sur une multitude de questions.

Le rejet autonomiste et post-moderne de la "politique" et toute analyse "de grande image" permettait aux militants post-communistes, tels que ceux des ONG thaïlandaises, d'oublier la lutte des classes, l'état et l'organisation politique. Leur intérêt était simplement dans la pression envers ceux du pouvoir, que ces derniers soient élus ou autoritaires. Cette dégénérescence de la politique explique pourquoi de nombreux militants des ONG thaïlandaise, et les mouvements qu'ils influençaient, aient, de façon spectaculaire, virés vers la droite, et finissant par soutenir les coups d'Etat militaires et le retrait de l'espace démocratique.

C'est alors qu'un certain nombre de commentateurs de la classe moyenne ont tenté de classer les confrontations de rue en Thaïlande entre les Chemises rouges et jaunes comme une simple bataille entre les différents partisans de l'élite, un peu comme un affrontement entre les partisans de deux équipes de football.

Certains ont également essayé de prétendre que les Chemises rouges ou le "Front uni pour la démocratie contre la dictature" (UDD) n'étaient simplement que des outils politiques de Taksin Shinawat. Pourtant, ceci est une erreur fondamentale. Les Chemises rouges ne peuvent pas être classés comme un "mouvement social créé par le haut" pour un certain nombre de raisons. Tout d'abord les objectifs des Chemises rouges étaient d'élargir l'espace démocratique contre les structures conservatrices ancrées de la classe dirigeante. Ils voulaient un terme au statu quo. Deuxièmement, les Chemises rouges étaient un mouvement auto-organisé de personnes qui travaillent, à la fois en milieu urbain et rural. Alors que le mouvement se développait, ils ont pris conscience de la lutte des classes. Les Chemises rouges ont commencé à se faire appeler "serfs" ou "Prai" et beaucoup ont remis en question toute la structure de l'élite politique, y compris la monarchie.

Le fait que Taksin et les dirigeants pro-Taksin de l'UDD aient dominé la direction politique des Chemises rouges soulève l'importante question du leadership dans un mouvement social. Les marxistes ont souvent décrit les mouvements sociaux comme étant des "champs continuels d'argumentations" où les différentes forces luttaient pour la domination. La tragédie des Chemises rouges vient de ce que la plupart des Chemises rouges progressistes de gauche, qui avaient rejeté Taksin et les dirigeants de l'UDD, aient refusés d'organiser une organisation politique alternative cohérente. Eux aussi ont été influencés par les idées autonomistes.

Une "grande image" des mouvements sociaux selon le point de vue des marxistes décrit souvent ces divers mouvements venus de la base comme étant juste un grand mouvement social avec de nombreux bras et jambes, en constante évolution à travers le temps et toujours lié aux mouvements internationaux. Cela nous permet de voir les Chemises rouges comme un continuum de mouvements pro-démocratiques passés telles que le Parti du peuple qui a renversé la monarchie absolue en 1932, les soulèvements pro-démocratie contre l'armée en 1973 et 1992 et la guerre civile inspirée par les Communistes de la fin des années 1970. Bon nombre des acteurs clés du mouvement des Chemises rouges ont été impliqués dans ces mouvements précédents. Bien sûr, il y a eu aussi des militants de ces mouvements qui ont changé de camp et rejoint les mobilisations de l'élite conservatrice. Mais le fait est qu'ils ont changé de camp et soutenus leurs précédents ennemis comme l'armée ou la monarchie. Ce n'est simplement qu'un exemple sur la façon dont les idées des gens peuvent changer à travers le temps.

En plus de cela, des facteurs internationaux, tels que la prédominance des politiques économiques néo-libérales qui augmentaient les inégalités et l'oppression de la part des régimes autoritaires, ont été les déclencheurs aussi bien des soulèvements du printemps arabe que du soutien grandissant aux Chemises rouges. Il convient de rappeler que la hausse de la popularité de Taksin était une conséquence de la crise économique néo-libérale de 1996 et de sa réponse keynésienne à cette dernière. Nous avons pu voir quelques points-communs entre les Chemises rouges et le printemps arabe en regardant des images de certains manifestants tenant des baguettes de pain françaises de style tunisien, et la grande affiche qui est apparue lors d'une manifestation chemise rouge qui prétendait être de la "branche égyptienne" de l'UDD venue de la province du Nord-est de Chaiyapoom!

Les liens entre les mouvements précédents thaïlandais et ceux des autres pays se sont produits dans les années 1960 lorsque le mouvement de la démocratie thaïlandaise a été clairement influencé par les mouvements de 1968 en Occident. En 1973, le soulèvement contre l'armée en Thaïlande a également agi comme un coup de pouce pour les étudiants grecs qui protestaient contre leur propre dictature militaire. On a pu entendre les étudiants grecs crier "Thaïlande! Thaïlande!" pendant le soulèvement de l'université polytechnique d'Athènes.

Les événements réels en Thaïlande et ailleurs ont l'habitude de théories politiques académiques compliquées. Dans le passé, j'ai écrit sur le mythe des "classes moyennes démocratiques". L'idée de nouveaux mouvements sociaux doit également être déposée dans la poubelle de l'histoire.

Lectures complémentaires (en anglais)

Colin Barker, Laurence Cox, John Krinsky & Alf Gunvald Nilsen (2014) “Marxism and Social Movements” Haymarket Books, Chicago, IL.

Why Thai NGOs supported the military: http://bit.ly/1KhCrbu

Thai links with the Arab Spring: http://bit.ly/1IVqs6m

Links between Thai and international struggles in the 1960s and 1970s: http://bit.ly/1LymNsL

A gauche des Chemises rouges, à droite des Chemises jaunes

A gauche des Chemises rouges, à droite des Chemises jaunes

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