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9 décembre 2015 3 09 /12 /décembre /2015 12:22

Un article de Giles Ji Ungpakorn

Lien:

https://uglytruththailand.wordpress.com/2015/12/06/the-role-of-thai-social-movements-in-democratisation/

 

Dans l'histoire politique thaïlandaise récente, nous avons vu un certain nombre de mouvements sociaux qui prétendaient faire campagne pour la démocratie. Parmi les Chemises jaunes, on trouve l'Alliance du Peuple pour la Démocratie (PAD) ou le Comité de la Réforme Démocratique Populaire de Sutep Teuksuban (PDRC) et parmi les Chemises rouges, le Front Uni pour la Démocratie contre la Dictature (UDD) en sont les exemples les plus importants.

C’est une vue de longue date que l'action des mouvements sociaux, ou des acteurs de la société civile, a pour effet d'élargir l'espace démocratique. Pourtant, les mouvements sociaux en eux-mêmes ne sont pas automatiquement des mouvements progressistes pour la démocratie et les droits civils. Ne l’est pas plus la "société civile", lorsqu'elle est définie comme un groupe d’organisations non étatiques souvent composées d'acteurs de la classe moyenne qui seraient donc automatiquement en faveur de la démocratie ou de l'élargissement des droits civils et de la liberté.

Dans le camp conservateur de l'échiquier politique, nous avons "l’Alliance du Peuple pour la Démocratie" et le "Comité de la Réforme Démocratique Populaire". Malgré leurs noms trompeurs ces deux mouvements ont cherché à réduire l'espace démocratique en appelant à un coup d'Etat militaire ou à l'intervention du roi contre un gouvernement élu.

Ces mouvements sociaux sont de très bons exemples de "mouvements sociaux créés par le haut", mobilisés par la classe dirigeante afin de maintenir le statu quo face aux menaces contre leurs privilèges. Nous savons qu'ils ont été mobilisés par le haut parce que bien que ces mouvements eux-mêmes aient été principalement composés de personnes de la classe moyenne, leurs dirigeants étaient de hauts responsables politiques et des hommes d'affaires ayant des liens étroits avec les hauts gradés militaires et le palais. Après le coup d'Etat militaire de 2006, les dirigeants du PAD ont célébré une fête du Nouvel An avec les putschistes et les aristocrates. La Reine et l'une des princesses ont montré leur soutien en assistant à l'enterrement d'un partisan du PAD qui avait été tué par une grenade lancée par un autre membre du PAD (NDT: le PAD a attribué ce meurtre à la police jusqu’à que les preuves démontrant la fausseté de cette affirmation s’accumulent), et, aussi bien les dirigeants du PAD que ceux du PDRC, ont bénéficié d'un traitement préférentiel spécial de la junte militaire et des tribunaux, en particulier lors de l'occupation de l'aéroport international par les membres du PAD en 2008 et le violent sabotage des élections en 2014. Dans les deux cas, l'armée a refusé d'intervenir et de rétablir l'ordre au nom du gouvernement élu. Pourtant, l'armée a utilisé des snipers meurtriers pour tuer près d'une centaine de manifestants chemises rouges en 2010. Ces Chemises rouges occupaient une zone commerçante afin d’exiger des élections démocratiques pour remplacer le gouvernement non élu du Parti Démocrate mis en place par l'armée.

Certains ont aussi essayé de prétendre que les Chemises rouges ou le "Front Uni pour la Démocratie contre la Dictature" n’étaient que de simples outils politiques de l'ancien Premier ministre Taksin Shinawat. Pourtant, ceci est une erreur fondamentale. Les Chemises rouges ne peuvent pas être classés comme un "mouvement social créé par le haut" pour un certain nombre de raisons. Tout d'abord, la plupart des Chemises rouges croyaient qu'ils luttaient pour élargir l'espace démocratique contre les structures conservatrices ancrées de la classe dirigeante. Ils voulaient la fin du statu quo. Deuxièmement, au niveau communautaire, les Chemises rouges étaient un mouvement auto-organisé de travailleurs venus aussi bien du milieu urbain que rural. Ceci malgré le fait que leur leadership politique soit majoritairement composé d'un groupe d'anciens politiciens du parti de Taksin.

Au fur et à mesure que le mouvement des Chemises rouges se développait, leur conscience de classe grandissait. Les Chemises rouges ont commencé à se surnommer eux-mêmes "serfs" ou "Prai" et beaucoup ont commencé à remettre en question toute la structure de l'élite politique, y compris la monarchie. Des milliers de Chemises rouges ordinaires ont lutté pour la démocratie, la dignité et la justice sociale, tandis que Taksin et ses alliés politiques menaient une campagne très différente afin de retrouver l'influence politique et économique qu'ils possédaient avant le coup d'État de 2006. Toutefois, en même temps, Taksin restait très populaire et influent parmi la plupart des Chemises rouges.

Un facteur mobilisateur important pour les Chemises rouges a été la colère ressentie par des millions de citoyens ordinaires suite à la façon dont ils ont été dépouillés de leurs droits démocratiques par les élites et les classes moyennes.

La division entre les "Rouges" et les "Jaunes" dans la crise actuelle est une division de classe. Il y a une tendance claire, parmi les travailleurs et les agriculteurs pauvres ou de revenu moyen, de soutenir les partis de Taksin et les Chemises rouges, indépendamment de leur situation géographique. Ceci est dû aux politiques pro-pauvres du TRT (NDT: Thai Rak Thai, le parti de Taksin) de soins de santé universels, de création d'emplois et de soutien aux producteurs de riz. Les travailleurs urbains ont bénéficié des politiques pro-pauvres qui ont eu un impact positif sur leurs familles vivant dans les zones rurales. Elles réduisaient leurs engagements financiers vis-à-vis de ces membres de la famille. Mais dans les provinces et à Bangkok, les classes moyennes et les élites ont tendance à voter pour le Parti Démocrate (NDT: un parti antidémocratique de l’élite) et voulaient réduire l'espace démocratique et revenir en arrière à l'époque pré-TRT.

Mais cela n’est pas seulement une simple lutte des classes. En fait, les luttes des classes dans le monde réel sont rarement simples ou pures. La crise thaïlandaise a des dimensions importantes de lutte des classes, mais elles sont compliquées par la faiblesse politique de la gauche et de la classe ouvrière organisée. Voilà pourquoi Taksin pouvait dominer et diriger les Chemises rouges.

Si les mouvements sociaux sont trop étroitement associés à des partis politiques de la classe dirigeante ils finissent par être dirigés, incorporés et dominée par ces partis plutôt que d'être en mesure de pousser pour des changements qui correspondent aux propres objectifs du mouvement. En Thaïlande, les principaux dirigeants de l'UDD étaient soit des politiciens du parti de Taksin ou d’autres qui le sont rapidement devenus après la victoire électorale de Yingluk Shinawat en 2011. Cela a conduit au déclin progressif des Chemises rouges.

Même si un parti chemise rouge progressif devait être bâti à l’avenir, un équilibre devra encore être établi entre les partis politiques et les mouvements sociaux et entre la base spontanée et l’organisation politique. Elles ne sont pas mutuellement exclusives, mais elles dépendent les uns des autres afin de pouvoir apporter des changements.

Une "grande image" marxiste sur les mouvements sociaux décrit souvent les divers mouvements venus de la base comme étant juste un grand mouvement social avec de nombreux bras et jambes, en constante évolution à travers le temps et toujours lié aux mouvements internationaux. Ce "mouvement social" est constamment en train de lutter contre "le système" qui est contrôlé par la classe dirigeante.

Ce point de vue nous permet de voir les Chemises rouges comme étant la continuité des mouvements pro-démocratiques passés tels que le Parti Populaire qui a renversé la monarchie absolue en 1932, les soulèvements pro-démocratie contre l'armée en 1973 et 1992 et la guerre civile d’inspiration communiste des années 1970. Bon nombre des acteurs clés du mouvement chemise rouge ont été impliqués dans certains de ces précédents mouvements. Bien sûr, il y a aussi des militants de ces précédents mouvements qui ont changés de camp et rejoint les mobilisations de l’élite conservatrice. Mais le fait est qu'ils ont changé de camp et soutenus leurs anciens ennemis comme l'armée ou la monarchie.

Aujourd'hui, le défi pour les militants pro-démocratie est de savoir si nous pouvons tous contribuer à la reconstruction d'un mouvement de masse pour la démocratie qui lierait ensemble les problèmes pressants de la société et qui serait allié à un nouveau parti politique organisé et au mouvement ouvrier. Toutefois, aussi braves que les militants étudiants d'aujourd'hui puissent être, leurs protestations symboliques contre la junte ne sont pas suffisantes. Nous avons besoin d'un mouvement de masse.

 

Ceci est une version abrégée d'un document présenté à la Conférence internationale pour l'éducation des droits de l’homme de l'Université Soochow, à Taipei en novembre 2015.

Le lien de la totalité du document (en anglais):

http://bit.ly/1l34Xqe

 

Voir aussi cette vidéo d'introduction:

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