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30 avril 2016 6 30 /04 /avril /2016 11:46

A l’occasion du 5eme anniversaire de l’emprisonnement du journaliste activiste thaïlandais Somyot Pruksakasemsuk (arrêté le 30 avril 2011), Libérez-Somyot republie 3 lettres de prison écrites par le journaliste activiste.

 

La première a été écrite le 2 mai 2011, quelques jours après son arrestation, alors que le gouvernement non élu d’Abhisit Vejjajiva, responsable du massacre d’avril/mai 2010, était encore au pouvoir :

Lettre de Somyot Preuksakasemsuk à toutes les organisations des droits de l'homme

Le contenu de l'article 112 est vague et contient des lacunes qui ont été exploitées par des gens corrompus en vue de neutraliser d'autres personnes. Dans une société au bord de l'affrontement, ces arrestations sont de nature à placer la monarchie en confrontation directe avec les gens.

Auparavant, plusieurs des principaux dirigeants des Chemises rouges ont été accusés d'avoir commis le crime de lèse-majesté, des radios communautaires ont été fermées et des sites internet bloqués pour empêcher les gens d'obtenir les informations. Cela a abouti à mon arrestation et à l'injuste action juridique qui en découle.

Ainsi, je suis juste une victime de l'abus du droit, une victime du jeu politique dans la lutte acharnée entre le mouvement démocratique et la dictature qui doit passer par des élections.

Je suis une cible que les pouvoirs corrompus, qui se qui proclament de moralité et de charisme supérieurs, veulent apprivoiser afin de maintenir leurs pouvoirs corrompus.

Je ne serais pas la dernière victime aussi longtemps que nous continuons à vivre sous cette règle qui est essentiellement celle d'une dictature, mais qui est présentée comme une démocratie au monde.

Je lutterai pour la liberté jusqu'à mon dernier souffle.

Je suis prêt à renoncer à ma liberté, mais certainement pas à mon humanité.

1. Je n'ai jamais cherché à fuir. Dans mon combat politique, j'ai subi la pression de plusieurs inculpations par des agences gouvernementales, y compris dans une affaire de diffamation contre moi de la part du général Saprang Kalanamitra, ancien commandant de la troisième armée. Le général a été l'un des responsables du coup d'Etat de 2006 et a ensuite été nommé Secrétaire exécutif adjoint du Conseil de Sécurité Nationale (CNS). Après avoir lutté par le processus normal de la justice, j'ai été condamné à une peine d'emprisonnement avec sursis. Dans un autre procès en diffamation par la Commission Nationale Anti Corruption (CNAC), je me suis battu jusqu'à ce que la plainte ait été rejetée. Et jusqu'à mon arrestation je suis apparu en public normalement.

2. En Thaïlande, les travailleurs sont encore soumis à l'exploitation et les rôles des syndicats ont été supprimés. Ils ne sont pas autorisés à défendre un quelconque programme politique. Mais si les syndicats cherchaient à s'élever, ils risqueraient d'être accusés d'avoir commis une infraction selon l'article 112, tout comme moi. Le droit de signaler un cas de lèse-majesté en Thaïlande est a porté de tout le monde. Et statistiquement, pendant la période 2008-2011, près de 500 cas liés à cette infraction ont été admis à la Cour. La plupart des accusés dans ces affaires sont partisans des Chemises rouge. En conséquence, les prisons sont surpeuplées et maintenant l'accès aux services médicaux est gravement compromis. Je souffre beaucoup de la goutte chronique (inflammation douloureuse des articulations) et de plaies enflammées.

J'apprécie profondément votre effort d'écrire une lettre pour demander au gouvernement thaïlandais ma libération ainsi que celle d'autres prisonniers politiques. Ce que je demande est tout simplement un droit fondamental qui doit être accordé à tout être humain; le droit d'être mis en liberté provisoire. Je devrais avoir la liberté de penser et de m'exprimer aussi longtemps que la loi viole les droits des gens. Et pour garantir mon droit légitime à me défendre, il n'y a tout simplement aucune raison de me priver de ma liberté. S'il vous plaît tout le monde, écrivez aux gouvernements et aux organismes concernés. J'ai vraiment hâte d'être libéré ainsi que mes frères et sœurs emprisonnés. Bien que mes amis aient pris soin de moi au cours de mon incarcération, personne ne veut rester enchaîné pendant une longue période. Et après tout, une telle détention est un exercice de pouvoir abusif par l'Etat qui porte atteinte à la liberté de base de l'homme et à la dignité humaine. J'aspire à la même liberté que celle d’un citoyen ordinaire.

Solidairement vôtre,

Somyos Preuksakasemsuk

 

La deuxième a été écrite le 20 aout 2011, trois mois après son arrestation et un mois après l’arrivée du nouveau gouvernement de Yingluck Shinawatra, soutenu par les Chemises rouges, au pouvoir :

A ceux que cela peut concerner,

Je suis détenu à la prison de Bangkok en détention provisoire depuis le 30 avril 2011 pour violation de l'article 112 du Code pénal.

Je tiens à exprimer ma gratitude à ceux qui se sentent concernés, tant au niveau international qu'à l'intérieur du pays, au sujet de leur demande au gouvernement thaïlandais de libérer les prisonniers politiques.

Depuis plus de vingt ans, j'ai été impliqué dans la lutte des travailleurs thaïlandais afin de s'assurer qu'ils vivent avec dignité et soient exempts de la pauvreté.

Certains aspects que j'ai contribué à leur apporter ont été le droit à 90 jours de congé de maternité, le droit de travailler dans un environnement de travail sécuritaire (1996), le Social Security Act (1990). J'ai aussi aidé pour des questions du travail, y compris la rémunération de l'emploi ainsi que l'allocation de chômage (2003).

Les réalisations mentionnées ci-dessus ont été le résultat du mouvement ouvrier thaïlandais. Mon expérience m'a démontré que ces droits ne peuvent émerger qu'à la suite d'un processus démocratique mis en avant par les élections. Dans le passé, les gouvernements militaires ont toujours violé les droits et les libertés des travailleurs.

Un exemple de ceci est que lors du coup d'Etat du 23 Février 1991, le dirigeant syndical, Thanong Pho-aan a été enlevé et on l'a fait disparaître. Les syndicats d'entreprise commerciale de l'Etat ont été abolis et interdits, et la convention collective du secteur privé s'est détériorée.

A la suite du coup d'Etat du 19 Septembre 2006, le gouvernement militaire a modifié la loi de protection du travail qui légitimait l'emploi par des contrats de travail et a gelé le salaire minimum.

Après le putsch de 2006, j'ai commencé à participer au mouvement pro-démocratie contre les forces derrière le coup d'Etat et la junte militaire. Je voulais publier un magazine qui critiquerait vivement le coup d'Etat. Des gens se sont rassemblés pour former le Front Uni pour la Démocratie contre la Dictature (UDD), ou le mouvement des Chemises rouges, qui a organisé des manifestations et des rassemblements, jusqu'à ce que le gouvernement d'Abhisit utilise la force militaire pour l'anéantir en mai 2010. Au moins 91 personnes ont perdu la vie lors de cette répression. Durant cette période, mon magazine a également été censuré, et j'ai été arrêté et détenu dans un camp militaire pendant 21 jours alors que je n'avais pas commis d'infractions.

Après ma libération, j'ai fondé le magazine "Red Power" qui a vivement critiqué le gouvernement et ses politiques. Une des questions clés était que le gouvernement avait promis d'augmenter le salaire minimum à 250 bahts, mais n'a pas tenu sa promesse.

Red Power a aussi cherché à enquêter sur les incidents et les causes de la mort des 91 personnes ainsi que les autres causalités. Néanmoins, sa maison d'édition a été fermée en octobre 2010. Pour continuer l'impression de Red Power, nous avons dû déplacer notre base au Cambodge.

Après le coup d'État 19 Septembre 2006, un certain nombre de militants, de journalistes et de sympathisants chemise rouge ont été raflés et jetés en prison sous prétexte de loi lèse-majesté.

Les journalistes étrangers n'étaient pas autorisés à exercer leur droit à la liberté d'expression et au journalisme d'investigation. Les personnes détenues en attendant le procès ont été soumis à la torture et se sont vues refuser la liberté sous caution ce qui les privaient de leur droit à l'auto-défense.

Trois militants syndicaux ont été accusés de violation de la loi de lèse-majesté. M. Giles Ungpakorn et sa femme ont été forcés de vivre en exil au Royaume-Uni; Junya Yimprasert, dirigeante de la Thai Labour Campaign ne peut plus revenir en Thaïlande; Moi-même, Somyot Pruksakasemsuk, ancien directeur du Centre de Service d'information du Travail et de la Formation, est actuellement détenu sans droit à la liberté sous caution sous inculpation de lèse-majesté.

La majorité de la population thaïlandaise est endoctrinée à croire en "la démocratie avec le roi comme chef de l'Etat" et si quelqu’un exprime des opinions différentes ou est considéré comme une menace à l'institution, il est traité comme un ennemi de l'Etat.

Red Power est la seule plateforme qui permet aux individus d'exprimer librement leurs pensées et opinions. C'est pour cette raison que j'ai été arrêté et inculpé de lèse-majesté.

La loi a été utilisée comme un outil de répression pour supprimer le droit à la liberté d'expression. En outre, les personnes accusées de violer la loi se voient, pour la plupart, refuser la liberté sous caution, ce qui est en violation des normes internationales relatives aux droits humains.

En tant que prisonnier politique, l'incarcération me prive de tous mes droits et libertés. Je trouve que ma vie, qui est d'être simplement « un animal domestiqué dans une cage » est misérable. Les traumatismes physiques et mentaux me blessent gravement. Beaucoup de camarades prisonniers politiques comme moi ont inutilement perdu leur vie familiale ainsi que leur carrière.

J'ai été informé par des visiteurs que des militants des droits humains et des syndicalistes ont exigé la libération par le Gouvernement Royal thaïlandais de tous les prisonniers politiques. Votre mouvement signifie beaucoup pour les Thaïlandais. Il reflète la façon dont la communauté internationale s'efforce d'atteindre le but commun de forger une société pacifique, où chacun pourrait véritablement bénéficier du droit à l'égalité, la liberté et la démocratie.

Je crois fermement en la puissance collective et la solidarité de tous les syndicats et des gens concernés par la justice. Votre lutte pour réclamer la libération de tous les prisonniers politiques en Thaïlande est une première étape vers la démocratisation.

En solidarité,

Somyot Pruksakasemsuk

 

La troisième a été écrite le 1er janvier 2012 plus de 7 mois après son arrestation

 

Chers amis,

En référence à la campagne de 8 organisations internationales des droits de l'Homme d'Asie, d'Europe et du Canada qui ont demandé ma libération au gouvernement thaïlandais ainsi que la révision de la loi n° 112 (la loi de lèse-majesté), je suis très heureux et apprécie vraiment le mouvement significatif qui s’est développé pour protéger les droits humains et la démocratie en Thaïlande. La loi n° 112 est une loi criminelle qui est en place depuis longtemps. Elle conduit à de lourdes sanctions et a été utilisé pour diminuer la liberté et les droits du peuple thaïlandais. Dans les années passées, il y a eu environ 109 procès et plus de 10.000 sites Web qui ont été fermés en raison de la violation de cette loi. Beaucoup de gens inculpés de violation de cette loi ont souffert d'être arrêtés et emprisonnés pour de longues périodes sans traitement équitable, notamment celui du droit à la liberté sous caution. J'ai 50 ans et dans ma vie, j'ai vu quatre périodes de violence politique en Thaïlande. Il y a eu un nombre élevé d'assassinats de dirigeants étudiants, de politiciens et de syndicalistes en raison de la loi de lèse-majesté. En outre, beaucoup de gens ont été contraints à l'exil pour éviter une arrestation. Il s’agit de violations des droits de l'Homme qui sont ignorés par la société thaïlandaise. En raison de notre mouvement et des campagnes, impliquant des organisations internationales des droits humains, en collaboration avec des communautés universitaires et des syndicats, nous avons été en mesure d'alerter la société sur la nécessité de réviser la loi n° 112. Les Thaïlandais sont de plus habilités à recueillir leurs demandes pour l'abolition de cette loi, quelque chose que nous n'avons pas vu au cours des 50 dernières années.

Je vous demande vigoureusement de continuer à faire campagne contre cette loi, indépendamment des conséquences personnelles pour moi-même. Même si je devais passer ma vie entière comme prisonnier politique, je ne capitulerais jamais et ce, jusqu'à mon dernier souffle.

Ma foi dans la solidarité

Somyot Pruksakasemsuk

Lien de la première publication:

http://liberez-somyot.over-blog.com/article-somyot-lettres-de-prisons-102181744.html

Somyot Pruksakasemsuk

Somyot Pruksakasemsuk

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