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12 mai 2013 7 12 /05 /mai /2013 14:26

Cet article a été écrit en Décembre 2010, alors qu'Abhisit Vejjajiva était encore le Premier ministre nommé par les militaires.

Liens de l'article

http://archives-lepost.huffingtonpost.fr/article/2010/12/12/2337439_l-etat-d-urgence-et-le-colonialisme-interne-en-thailande.html

 

L'Etat d'urgence et le colonialisme interne en Thaïlande
Traduit d'un article de Robert Amsterdam, avocat international des Droits de l'Homme
Version originale en anglais sur le lien suivant:
http://robertamsterdam.com/thailand/?p=276

Au cours des derniers mois, le gouvernement thaïlandais dirigé par le premier ministre Abhisit Vejjajiva est devenu la cible de beaucoup de critiques internationales pour, entre autres, ses violations des droits de l'homme, son absence d'enquête [sur le massacre de mai 2010], ses violations de la liberté de la presse, et ses détentions arbitraires.
Toutefois, la question la plus importante est que l'Etat d'urgence semble permanent, ce qui suscite de graves inquiétudes et des questions sans réponse. Le 5 juillet dernier, l'influent groupe basé à Bruxelles, International Crisis Group, a publié un rapport qui recommandait comme priorité absolue que "la Thaïlande devrait lever le décret d'urgence imposé sur une grande partie du pays ou sinon elle risquait d'endommager encore plus sa démocratie, ce qui entraverait une réconciliation si nécessaire au pays, et sèmerait les germes d'un conflit meurtrier dans l'avenir." Les commentaires du diplomate américain William Burns J. sont en accord avec ce point. Ce dernier a déclaré que "la promulgation indéfinie de ce genre de décrets n'est pas une chose saine pour tout système démocratique."
Et pourtant, en dépit de certains discours apaisant du Premier ministre instruit en Grande Bretagne, pas un geste n'a été fait pour lever l'état d'urgence à Bangkok et dans les provinces critiques du Centre, du Nord et du Nord-Est, alors qu'aucune explication crédible n'a été fournie pour expliquer pourquoi il était nécessaire de maintenir, à ce stade, ces lois exceptionnelles draconiennes. Suthep Thaugsuban, qui dirige le Centre pour la Résolution de la Situation d'Urgence (CRES), a toujours été opposé à la levée du décret d'urgence, car ce dernier fournit un appareil répressif à l'Etat avec un large éventail de pouvoirs. Le décret d'urgence est toujours en vigueur dans 10 régions, et permet aux autorités d'interdire des médias, de geler des comptes bancaires et d'arrêter des citoyens sans avoir à fournir de prétextes. Il interdit aussi les rassemblements politiques de cinq personnes ou plus, bien que cette interdiction ne semble s'appliquer qu'à des rassemblements politiques qui ne servent pas le programme du gouvernement (NDT référence à la manifestation du PAD qui a bloqué l'avenue Sukumwit le 27 juillet dernier).
Les raisons de l'extension répétée des pouvoirs d'exception en Thaïlande sont basées à la fois par rapport à l'histoire de ces sortes de lois, et à l'opportunité politique car cela sert le gouvernement à court terme.
Un regard en arrière sur certaines des implémentations première de "l'état d'urgence" peut être observée avec les lois de l'Angleterre dans ses territoires coloniaux au 18ème siècle ou on remarque un lien dramatique entre l'utilisation de ces pouvoirs et la reconnaissance de la légitimité chancelante et sans capital social de l'occupation coloniale. Dans un livre sur le sujet intitulé "La jurisprudence d'urgence", Nasser Hussein a fait valoir que les lois d'urgence découlaient de la condition coloniale dans sa forme et son exécution d'un élément fondamental de survie et de pouvoir. Hussein met l'accent sur "les discours du droit moderne qui forment le conflit potentiel entre le pouvoir d'Etat et l'autorité juridique, entre ce que l'État perçoit, à certains moments, comme puissance nécessaire à la survie et ce que la loi met à sa disposition." En d'autres termes, il y a un problème de construction normative de la loi d'urgence, qui peut décider quand elle peut être utilisé et pendant combien de temps elle peut l'être, et la nature vague et arbitraire des Etats déclarant l'urgence nationale contre des intérêts étatiques et personnels.
L'argument Hussein est particulièrement pertinent pour la Thaïlande. En particulier, alors que la Thaïlande est fière d'avoir été le seul pays d'Asie du Sud-Est à n'avoir jamais été colonisé par les puissances occidentales, les écrivains thaïlandais ont souvent fait valoir que d'importantes sections du territoire national de la Thaïlande, qui n'avaient été annexées par le royaume de Siam qu'au cours des deux derniers siècles seulement, ont longtemps été administrés comme des domaines coloniaux. C'est particulièrement le cas dans le Nord du pays et dans les régions du Nord-Est.
En matière économique, des savants comme Chattip Narthsupha ont souligné qu'alors que le système de marché libre introduit au Siam avec le traité Bowring de 1855 avait créé une nouvelle classe capitaliste de marchands chinois, l'accroissement du commerce des produits agricoles n'avait pas été accompagné par des mesures permettant un véritable développement des zones dans lesquelles ces produits sont originaires. Tout comme ce que les puissances occidentales avaient fait dans leurs propres colonies, Chattip fait valoir que cette classe de nouveaux marchands ne s'était pas réellement engagée dans la production capitaliste, mais avait plutôt limité ses activités à l'extraction des richesses des provinces par la force, la trahison, et l'exploitation. De là est née l'alliance entre l'aristocratie de Thaïlande et la bourgeoisie montante qui pratiquait sa propre marque de "capitalisme parasitaire." Les deux avaient un intérêt commun dans la répression de la paysannerie, pour des raisons de pouvoir et d'argent. Les deux partageaient le même manque d'intérêt pour le développement rural.
En matière politique, des savants, comme Somchai Phatharathananunth, ont souligné que l'affirmation de la puissance de Bangkok sur les provinces ultrapériphériques du pays avait rencontré une résistance considérable. Dans le Nord, la résistance à la centralisation avait pris la forme de mouvements millénaristes, comme la révolte des Saints Hommes de 1902, lors de laquelle les agriculteurs avaient d'abord tenté d'entraver la perception des impôts par le gouvernement central. Les rébellions n'ont pas seulement été réprimées brutalement par les autorités siamoises, mais ont également entraîné l'accélération de la projection de l'hégémonie culturelle de l'État sur la périphérie - ce qui a impliqué, entre autres choses, la destruction du bouddhisme particulier à l'Issan, l'affaiblissement des identités locales par l'imposition de la langue de la Thaïlande centrale comme langue nationale, l'invention d'une nouvelle identité nationale avec une hiérarchie sociale correspondante, et un système éducatif moderne qui a servi comme vecteur de la conformité idéologique. À long terme, "la domination idéologique" a supplantée la répression physique comme méthode de contrôle social.
L'histoire du colonialisme interne de la Thaïlande a eu un héritage durable à la fois sur la vie économique et politique du pays. Dans le domaine économique, l'héritage du colonialisme interne est attestée par la persistance des disparités de développement entre les régions relativement prospères du Sud et Centrale d'un côté et celles, relativement pauvres, du Nord-Est de l'autre. Dans le domaine politique, cet héritage se reflète dans le statut continu de citoyen de seconde classe réservés pour les habitants du Nord-Est, ainsi que pour les millions d'entre eux qui ont migré à Bangkok au cours du siècle dernier.
Ce n'est pas un hasard si le soutien au Puea Thai et aux Chemises rouges est plus fort dans les circonscriptions et les régions qui ont le plus souffert du colonialisme interne de Bangkok. La politisation accrue et la mobilisation de ces groupes n'a pas seulement marqué le début d'une crise de légitimité avec des proportions sans précédent pour l'établissement basé à Bangkok. Comme chaque autorité coloniale respectable, le gouvernement d'Abhisit n'avait pas d'autre choix que de suspendre la loi pour tenter de compenser son manque de légitimité. L'espoir de ce dernier est que sa dictature pourra conserver, à court terme, ce que son idéologie ne peut plus défendre. À long terme, il appartiendra aux différents comités de "réconciliation" et de "réforme" mis en place par le gouvernement dans le sillage de la répression de colmater les failles critiques de l'idéologie officielle de Thaïlande pour que l'établissement puisse à nouveau profiter du luxe de mettre en place un gouvernement soi-disant constitutionnel.
Au cours des 15 dernières années, les populations de l'Issan et d'autres régions de Thaïlande ont connu une hausse de leurs revenus et ont exigé que leurs voix soient entendues. Abhisit et le Parti Démocrate, qui semblent préférer une simple rhétorique de la démocratie plutôt qu'une pratique effective de celle-ci, ont toujours niés avoir supprimé ces appels à la représentation de ceux qu'ils ont choisis d'exclure du processus politique. Si ce n'est pas du colonialisme, qu'est ce que c'est alors?
L'état d'urgence imposé par le gouvernement thaï est parfaitement abusif et illégal, et devrait être reconnu par toutes les parties comme étant un élément perturbateur et venimeux par rapport à un véritable processus de réconciliation. En outre, les extensions de ces lois exceptionnelles soulignent la crainte et la réticence d'Abhisit, de Suthep, et de leurs amis de faire face à l'urne.
Il est temps de mettre en place des élections et de donner à la démocratie un essai car la dictature ne fonctionne pas.

 

Photo ci-dessous: Jit Phumisak, le premier thaïlandais a avoir dénoncé la société thaïlandaise comme étant "féodale et colonisée"

Chit 

 

Lien: http://liberez-somyot.over-blog.com/article-jit-phumisak-un-revolutionnaire-thailandais-110940550.html

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