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10 février 2016 3 10 /02 /février /2016 16:56

Un article de Prachatai

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http://prachatai.org/english/node/5825

 

Les allégations de torture et de mauvais traitements commis par les autorités de l'Etat contre la minorité malaise musulmane dans le sud représentent actuellement le double de celles rapportées en 2014 après le coup d'État.

Le Centre des juristes musulmans (Muslim Attorney Centre MAC), une organisation de la société civile pour l'aide juridique dans l’extrême sud, a publié un rapport , le mardi 2 février 2016, sur les allégations de torture et de mauvais traitements contre les suspects d’insurrection du sud profond arrêtés et détenus en 2015 en vertu des lois spéciales de sécurité dans la région.

Dans les provinces du sud de la Thaïlande ou la violence sévit, une région anciennement appelé Patani, composée des provinces de Pattani, Yala et Narathiwat ainsi que quatre districts de la province de Songkhla, les autorités peuvent détenir des citoyens sans procès pendant 37 jours en vertu de la loi sur la sécurité intérieure et du décret d'urgence. Des lois spéciales de sécurité sont en vigueur dans la région depuis plus d'une décennie.

Dans ce rapport, le MAC a enregistré les allégations de torture et de mauvais traitement de 33 détenus dans la région, avec 11 cas à Pattani, 15 à Yala, 6 à Narathiwat et un à Songkhla.

Le nombre de cas est presque le double de celui donné dans un rapport établi par la Cross Cultural Foundation et le Duay Jai Group le mois dernier, qui avaient rapportés au moins 18 cas de torture et de mauvais traitements depuis le coup d'état du 22 mai 2014.

La documentation est basée sur les allégations faites par d'anciens détenus et leurs familles.

Sur les 33 cas, le MAC a précisé que 29 détenus auraient été battus ou frappés avec des objets durs, 7 autres auraient été placés dans une pièce maintenue à une température très basse, 5 détenus auraient été étouffés, et 4 autres auraient été électrocutés.

En outre, il y aurait plusieurs cas dans lesquels les détenus auraient été percés avec des aiguilles, torturés avec des pinces, contraints de boire leur propre urine, déshabillés, se seraient vu injectés des produits chimiques non spécifiés, torturés dans les organes génitaux, et menacés d'exécution.

Le MAC a ajouté dans le rapport que la documentation des allégations était difficile parce que la plupart des membres de la famille étaient étroitement surveillés par des agents de l'État, quand ses membres ont rendu visite aux détenus. Dans certains cas, les fonctionnaires ont pris des photos de membres de la famille des détenus lors de leur visite.

Le MAC a été autorisé à parler aux détenus uniquement via un écran d'ordinateur sous la surveillance serrée des fonctionnaires. En outre, les responsables se voyaient généralement réduire le temps de visite autorisé aux détenus, malgré le fait que dans la plupart des centres de détention les membres des familles des prisonniers reçoivent l’autorisation de visites de 30 minutes.

Le MAC conclut que, malgré les pourparlers de paix en cours entre MARA Pattani, une coalition de groupes d'insurgés du Sud, et l'Etat thaïlandais, la torture et les exécutions extrajudiciaires sont encore répandus dans le Sud profond, en partie en raison du fait que la plupart des représentants de l'État ne sont jamais tenus responsables de leurs actions en raison des lois spéciales de sécurité imposées dans la région.

L'organisation a suggéré que si l'Etat répond aux graves problèmes de droits humains de la torture et de la culture de l'impunité, de la paix dans le Sud profond durable continuera d'être rien de plus qu'un rêve pieux.

Selon un rapport alternatif soumis à l'ONU en 2014 sur le respect de la Thaïlande envers la Convention contre la torture, 393 cas sur 3456 violations des droits de l’homme dans le Grand Sud sont liées à des mauvais traitements et à de la torture par des fonctionnaires de l'Etat.

Les différents moyens de torture utilisés par les militaires thaïlandais

Les différents moyens de torture utilisés par les militaires thaïlandais

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8 février 2016 1 08 /02 /février /2016 09:22

Une déclaration de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH)

Lien:

https://www.fidh.org/en/region/asia/thailand/un-body-demands-immediate-release-of-lese-majeste-detainee

 

(Paris, Bangkok) Un organisme de l'ONU a demandé que la Thaïlande libère immédiatement la détenue pour lèse-majesté Pornthip Munkong, surnommée Golf, et lui accorde une indemnité pour la détention arbitraire à laquelle elle a été soumise, selon les informations reçues par la FIDH.

Pornthip Munkong surnommée Golf

Pornthip Munkong surnommée Golf

Dans un avis adopté le 2 décembre 2015, le Groupe de travail des Nations-Unies sur la détention arbitraire (UNWGAD) a déclaré que la détention de Golf était arbitraire car elle contrevenait aux articles 9 et 19 de la Déclaration universelle des droits de l'homme (DUDH) et les articles 9 (3) et 19 (2) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (International Covenant on Civil and Political Rights ICCPR). La Thaïlande est un État partie de l’ICCPR. Les dispositions mentionnées garantissent le droit fondamental à la liberté, le droit à un procès équitable et le droit à la liberté d'opinion et d'expression.

"Golf et tous les autres détenus pour lèse-majesté ne devraient pas passer une minute de plus derrière les barreaux. La privation de liberté pour le simple exercice des droits garantis par les instruments juridiques internationaux pertinents est non seulement arbitraire mais aussi odieuse" a déclaré Karim Lahidji, président de la FIDH

Le 23 février 2015, la Cour pénale de Bangkok a condamné Golf à deux ans et demi de prison en vertu de l'article 112 du Code pénal de la Thaïlande. L'article 112 stipule que "quiconque diffame, insulte ou menace le roi, la reine, l'héritier du trône ou le régent sera puni d'un emprisonnement de trois à 15 ans." Golf a été reconnue coupable d'avoir commis le crime de lèse-majesté pour avoir joué dans une pièce de théâtre politique appelé Jao Sao Maa Paa (La fiancée du loup) à l’université Thammasat de Bangkok en octobre 2013. La pièce, qui parlait d’une monarchie de fiction, est réputée avoir insulté le roi Bhumibol Adulyadej.

Actuellement Golf est incarcéré à l'établissement correctionnel pour femmes de Bangkok. Elle a été privée de sa liberté depuis son arrestation le 15 août 2014, à l'aéroport international de Hat Yai, dans la province de Songkhla.

Golf est la troisième détenue pour lèse-majesté en Thaïlande dont la privation de liberté a été déclarée arbitraire par l’UNWGAD.

Le 19 novembre 2014, l’UNWGAD avait déclaré que la détention du militant étudiant Patiwat Saraiyae, surnommé Bank, était arbitraire. Bank a été arrêté le 14 août 2014 sous l’inculpation de de lèse-majesté pour sa participation à la pièce de théâtre Jao Sao Maa Paa. Le 23 février 2015, il a été condamné à deux ans et demi de prison.

Le 30 août 2012, l’UNWGAD avait déterminé que la détention de l'ancien militant syndical Somyot Phrueksakasemsuk était arbitraire. Somyot été arrêté le 30 avril 2011 pour avoir permis, dans le magazine ou il était rédacteur en chef, la publication de deux articles satiriques qui ont été jugés insultants pour la monarchie. Le 23 janvier 2013, Somyot a été condamné à 10 ans de prison pour deux chefs d'accusation de lèse-majesté.

Comme dans le cas de Golf, l’UNWGAD exhorte le gouvernement thaïlandais à libérer immédiatement Bank et Somyot et à leur accorder une indemnisation.

"De nombreux organismes des Nations Unies des droits de l'homme ont censuré la Thaïlande pour l'abus de ses lois de lèse-majesté. Il est temps pour la Thaïlande de tenir compte de la jurisprudence de l'ONU et de se conformer à ses obligations juridiques internationales " a déclaré Jaturong Boonyarattanasoontorn, le président de l’UCL.

Sous le pouvoir actuel de la junte militaire, le Conseil national pour la paix et l'ordre (NCPO), le nombre de personnes détenues ou emprisonnées en vertu de l'article 112, a augmenté de façon significative. Depuis le coup d'Etat militaire du 22 mai 2014, au moins 35 personnes ont été condamnées à des peines de prison pour violation de l'article 112 (1). Vingt-trois d'entre elles ont été jugés par des tribunaux militaires. En outre, au moins 22 personnes sont détenues en attente de leur procès pour des accusations de lèse-majesté. Au moment du coup d’Etat du 22 mai 2014, il y avait six personnes derrière les barreaux pour lèse-majesté.

Contacts pour la presse:

FIDH: M. Arthur Manet (français, anglais, espagnol) - Tel: 33672284294 (Paris)

FIDH: Mme Audrey Couprie (français, anglais, espagnol) - Tel: 33648059157 (Paris)

UCL: M. Jaturong Boonyarattanasoontorn (thaï, anglais) - Tel: 66890571755 (Bangkok)

Notes

(1) Ce chiffre ne comprend pas les cas d'arrestation et d'emprisonnement en vertu de l'article 112 de personnes ayant des liens avec le prince héritier de Thaïlande, Maha Vajiralongkorn.

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6 février 2016 6 06 /02 /février /2016 17:54
Pourquoi la Thaïlande aurait-elle besoin d'une armée?

Dans un récent article, Ajarn Niti Eauwsiwong a posé la question: "quel est le but d'avoir une armée." Naturellement, cela a provoqué une tempête d'insultes de la part du plutôt mal éclairé généralissime et de ses divers sous-fifres. Prayut a perdu à nouveau le contrôle de lui-même (a-t-il déjà réussi à le conserver?) et a crié que les militaires étaient là pour que ces "chiens" comme ceux du milieu universitaire et des médias puissent se poser la question.

Certaines personnes ont, à tort, caractérisé l'armée, dans le cas des régimes autoritaires comme l'Indonésie de Suharto ou la Birmanie, comme étant un "Etat dans l'Etat". Ceci est trompeur et n’est pas réellement vrai. L'hypothèse est que les militaires auraient en quelque sorte "usurpé" le pouvoir d'Etat. Cependant, les militaires ou les "corps spéciaux d'hommes armés" font partie intégrante de l'Etat capitaliste moderne et cet état peut prendre plusieurs formes politiques. Dans un passé récent, il y avait aussi bien des pays démocratiques qu’autoritaires parmi les États d'Europe occidentale. L’Espagne, l'Italie et l'Allemagne ont été des dictatures fascistes.

La prédominance de l'armée dans le contrôle politique de l'Etat dans l’Indonésie de Suharto ou en Birmanie n’est pas un écart par rapport à l’idéologie dominante de l'Etat capitaliste, il s’agit juste d’une forme qui reflète la faiblesse des autres factions de la classe dirigeante en compétition face à des tensions et des crises au sein de la société.

Aujourd'hui, la Thaïlande est gouvernée par une dictature militaire et même quand les militaires ne sont pas au pouvoir, ils ont eu différents degrés d'influence. Mais n’imaginez jamais un instant que Prayut aurait été en mesure d’organiser son coup d'Etat militaire et de s’accrocher au pouvoir s'il n'avait pas eu le soutien d'autres sections de la classe dirigeante thaïlandaise; les capitalistes et les bureaucrates de l'élite. Avec les généraux de l'armée, ces élites forment la classe dirigeante. Elles sont à la fois un groupe de factions rivales mais aussi unies dans leur détermination à se cramponner au pouvoir de classe. Le roi est leur symbole de socialisation de l'unité de classe et du nationalisme parmi les citoyens qu’ils gouvernent. Lorsque cette socialisation ne fonctionne pas, elles utilisent alors la lèse-majesté ou la force brute.

Récemment, les généraux ont aboyés comme des chiens, en réponse à la question d’Ajarn Niti, comme quoi l'armée serait "la barrière" pour garder le pays. Le problème est que les citoyens ordinaires ne sont pas integrés dans une telle barrière. Elle est exclusivement destinée à la classe dirigeante. Qui plus est, l'armée thaïlandaise a toujours lamentablement échoué à défendre le pays contre une invasion extérieure. Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle s’est rapidement rendue aux Japonais. A l'époque de l'expansion impérialiste, elle était impuissante face aux Britanniques et aux Français.

Alors, quel est le but de l'armée thaïlandaise?

La réponse courte est qu'elle a deux fonctions principales.

La première fonction est de protéger le pouvoir de la classe dirigeante des défis des mouvements de masse afin d'élargir l'espace démocratique. Toutes les armes, les chars et autres équipements militaires utilisés par l'armée ont été utilisés contre les citoyens thaïlandais. A Bangkok, elle a tiré sur des manifestants en 1973, 1976, 1992 et 2010. Elle a mené une guerre civile contre les communistes qui désiraient une société plus égalitaire et elle est actuellement engagée dans une vicieuse guerre à Patani pour empêcher l'autodétermination malaise musulmane. Elle a aussi parfois mis en scène des coups d'Etat militaires afin de "garder la ligne" contre les menaces politiques civiles. Mais le plus souvent, les coups d'État militaires servaient l'intérêt personnel militaire, ce qui nous amène au second but de l'armée.

Le deuxième objectif de l'armée thaïlandaise est de satisfaire l'avidité pure du corps des officiers. Même lorsqu'elle n’est pas au cœur du pouvoir politique, l'armée fournit de riches et corrompues opportunités pour ceux qui sont dans les premiers rangs. La corruption sur les achats d'armes, les fonds excédentaires de l'État pour les activités militaires et la possibilité de siéger dans les conseils d'administration des entreprises d'Etat, font que tous les généraux se remplissent les poches. Ajoutez à cela le commerce illégal de stupéfiants, le trafic d'êtres humains et d'autres activités de type mafieux. Et quand les militaires sont à l’intérieur du pouvoir politique comme maintenant, les possibilités d'enrichissement sont illimitées.

Le but de cette méchante et parasite organisation est d'agir comme un obstacle au progrès politique et de détourner des ressources importantes pour la santé, l'éducation et le bien-être général de la plupart des citoyens.

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3 février 2016 3 03 /02 /février /2016 11:54

Une conception personnelle et béhavioriste de la culture et de la façon dont elle a joué en arrière-plan lors de l'agitation politique en Thaïlande, tout ceci venu d'un paria culturel.

Un article de Joe Chasinga

Lien:

https://medium.com/@jochasinga/thai-what-taiwan-48c1c1083a80#.a8wrik7nh

 

La panique était tellement dans l'air que l’on pouvait presque la sentir.

C'était le 25 mai 2014, pendant une chaude et ensoleillée après-midi. Ma femme et moi nous sommes rendus à la station de BTS de Siam Square afin de rencontrer ses collègues pour un pot d’adieu au Central World Plaza avant de partir pour New York en juin. Nous soudain reçu un appel d'une autre collègue nous disant qu'elle avait décidé de rentrer chez elle en voiture dix minutes avant le rendez-vous. Elle n'osait pas continuer; la route ayant été fermée.

Le carrefour de Rajchaprasong, un site habituel pour les manifestations politiques, ironiquement traduit en thaï littéral comme "la royale (raja-) demande (-prasong)", avait été bloqué et évacué par une force militaire de 50 Humvees équipées de mitrailleuse et de nombreux soldats braquant des M-16 étaient postés devant le Central World Plaza et tout le long de la route jusqu’à Siam Square. Les gens se précipitaient hors du centre commercial, et beaucoup marchaient sur l’avenue vide à six voies ayant l’air confus et stressés. Beaucoup prenaient des photos avec leurs téléphones mobiles et partageaient cela sur les réseaux sociaux comme des fous. Quelqu'un a crié, "Le "strabisme" s’empare de Bangkok!" La panique était tellement dans l'air que l’on pouvait presque la sentir. Nous, dans l'une de nos rares occasions d'accords, avons appelé les participants pour annuler la réunion et nous sommes précipités à la maison.

J'ai appris plus tard qu'un petit groupe de manifestants s’étaient rassemblés à proximité pour protester contre le coup d'Etat, et que l'armée, en prenant des mesures pour les chasser et arrêter certains d'entre eux, avait bloqué l’avenue. J’ai appris plus tard que "strabisme" était l’un des surnoms donnés au général de l'armée, Prayuth Chan-ocha, qui avait organisé un autre putsch militaire le 22 mai 2014 en dépit de ses biens connus vœux publics de ne pas intervenir et sa promesse de ne pas faire de coup d'Etat.

Les manifestants du 25 mai contre le coup d’Etat

Les manifestants du 25 mai contre le coup d’Etat

C'était le deuxième coup d'Etat en huit ans depuis celui de 2006 qui avait renversé le magnat des télécommunications devenu Premier ministre Thaksin Shinawatra et le 19ème coup (en comptant les tentatives non-réussites) dans l'histoire démocratique du "Detroit de l'Est."

Comme membre typique de la classe moyenne thaïlandaise d’origine chinoise, j'ai eu la chance d'avoir des parents qui m'ont envoyé étudier dans des écoles internationales depuis que j’étais tout petit. Au-delà de leur attente de voir leur fils parler couramment l'anglais, j'avais involontairement pris le goût de la philosophie occidentale, la musique classique, la littérature anglaise et même l'histoire de l'origine de l'Amérique moderne à travers des études américaines sociales fournies à un âge relativement jeune.

Il s'est avéré que plus tard, l'apprentissage de cette mentalité était un acquis indésirable et craignant que leur fils ne puisse pas prospérer dans la société locale, ils ont décidé de me sortir de l'école secondaire à la fin de ma 10eme année et m’ont fait étudier à la maison pendant un an pour l’examen d'entrée à l’université. J'ai marqué mon chemin dans la plus prestigieuse université de la nation, où je suis vite devenu un outsider parfait.

Nous payons même respect aux arbres sacrés!

Comme je l’ai rapidement appris à l'intérieur de l'université parmi mes collègues étudiants thaïlandais qui avaient subi l'éducation traditionnelle thaïlandaise, nous les Thaïlandais sommes un gâchis hypocrite au niveau pédagogique. Nous avons, par cette façon de penser, appris à révérer tout sauf nos propres droits et le respect de soi-même, et pourtant notre désir naturel d’évoluer et d’être nous-mêmes sont tellement réprimés que nous devons fuir derrière la scène, souvent sous la forme de rumeurs et de coups-bas. Notre culture a également adopté tant de normes religieuses, de croyances et d’influences culturelles, mais au lieu d'embrasser cette diversité et d'accepter ces différences, nous sommes devenus d’esprit petit et monotone; soit vous passez par le chemin "thaï" pour faire les choses ou alors laissez faire la communauté.

Nous avons les dieux et les symboles hindous partout, et même vénérons nos rois comme étant la réincarnation de Rama, et en même temps nous vénérons des images de Bouddha. Nous obéissons à nos instructeurs quand ils imposent leurs doctrines occidentales clonés et obsolètes à leurs élèves. Nous devons faire un Wai (façon thaïlandaise de payer la révérence) pour tout et à tout le monde, à nos parents, aux enseignants, aux statues et même à des arbres supposés sacrés! Lors d'une journée de cérémonie spéciale appelée Waikru, les élèves sont censés ramper au niveau des pieds des enseignants et leur faire un Wai. Voyez ci-dessous comment notre dernière premier ministre évincée, Yingluck Shinawatra, devait se conduire lorsqu’elle rencontrait Son Altesse Royale la Princesse Maha Chakri.

Yingluck Shinawatra et la Princesse Maha Chakri

Yingluck Shinawatra et la Princesse Maha Chakri

C’est presque gravé dans le subconscient des Thaïlandais qu'ils doivent quelque chose à quelqu'un à tout moment, et que leurs vies sont prédestinées plutôt que définissables.

Ne vous méprenez pas, j'ai beaucoup de respect pour les personnes âgées et aussi pour les personnes qui méritent ce respect. Mais moi, avec ma sensation la plus profonde d'être un humain, n'arrive pas à comprendre la logique des gens qui paient révérence à une statue, même quand ils sont dans un bus qui passe devant. C’est presque gravé dans leur subconscient qu'ils doivent quelque chose à quelqu'un à tout moment, et que leurs vies sont prédestinées plutôt que définissables.

A mon avis, cette norme d’extra-respect et d'auto-infériorisation ouvre un immense espace pour la corruption et est principalement responsable de la corruption poignante de mon pays. C’est un fait que nous ne pouvons pas nous tirer de quoi que ce soit en Thaïlande sans payer un seul baht à l'avancement publique (sans parler des taxes). Nous ne pouvons pas nous tenir debout de manière autonome sans nous faire arnaquer par des bureaucrates mafieux (Demandez à quelqu'un qui possède une entreprise en Thaïlande). C'est, à mon avis, la racine de tous les maux cachés et de la crise politique récurrente qui ont empêchés la nation de progresser pendant de nombreuses années. Comment?

La structure sociale thaïlandaise est simple. Elle se compose des royalistes et des élites, des capitalistes, des classes moyennes et des pauvres. Je n’y inclue pas le gouvernement, parce qu’il s’agit juste d’un verni démocratique et d’une plaisanterie. L’armée est considérée comme une force étant la propriété exclusive des royalistes plutôt que celle de la nation. Par conséquent, la violence, comme décrite dans le livre Powershift d’Alvin Toffler, est contrôlée par le rang le plus élevé. Maintenant, du fait de l'âge de l'information, alors que l'Internet a commencé à se développer de façon exponentielle et à s'infiltrer parmi les classes les plus pauvres, le rang le plus bas a commencé à atteindre un nouveau niveau, celui de la connaissance. Il a donc commencé à ouvrir les yeux, à regarder autour et à en apprendre davantage sur les origines de sa pauvreté. La campagne populiste de l’ancien et controversé premier ministre Thaksin Shinawatra n’avait fait qu'alimenter l’incubation du nouveau savoir.

Le gouvernement thaïlandais n’est que "du pain et des jeux" pour le peuple.

Maintenant, les royalistes et les élites, et même les capitalistes qui avaient payés (aux deux sens du terme) suffisamment de "respect" aux premiers, se considèrent comme étant les dirigeants et attendent que les pauvres se prosternent devant eux et suivent leur destin qui est de revenir à la ferme dans les zones rurales, mendier de l'argent dans les villes ou voler des aliments et des médicaments et rentrer à la maison en faisant un Wai à toutes les merdes imaginables. Thaksin Shinawatra était tout simplement un capitaliste à forte tête et qui était perçu comme un danger grandissant par notre "Big Daddy", mais il a fait une erreur stupide en allant rechercher la faveur de la masse des pauvres au lieu du contraire. Parce que, bien que les pauvres soient de plus en plus éduqués, ce n'étaient pas eux qui détenaient les armes et dirigeaient les chars. En tant que magnat des télécommunications, il a sous-estimé la puissance des balles.

Ma femme, traditionnellement éduquée, fait parmi de ceux qui ont la chance d’être éclairé. Elle a pu étudier dans une université de prestige en subissant le minimum de SOTUS (bizutage des seniors) ce qui l’a tenue écartée de Nadaland (un surnom sarcastique de la Thaïlande des aveugles). Nous étions conscients de la fracture, et nous avions tous deux assistés à beaucoup de stupides et peu profonds "je-sais-tout" patriotiques de la part de nos collègues et amis chemises jaunes. Cela ressemblait aux temps révolutionnaires de la Chine ou d'autres endroits semblables, et nous pouvions presque les imaginer portant des uniformes kaki avec une étoile rouge boutonnée sur le béret et les femmes gardant une coupe de cheveux tressée.

L'ignorance, c'est le pouvoir !

Prêtez attention maintenant, alors que je soulève une très importante question: si les rangs les plus élevés de la nation thaïlandaise contrôlent la richesse ainsi que la violence, et que les basses classes acquièrent de plus en plus de connaissances, qu’est ce qui spécifie la classe moyenne? Une réponse simple: l'ignorance.

Lorsque vous avez un esprit assez étroit, une journée de travail mal rémunérée qui vous vous donne une mentalité encore plus étroite, et une campagne gouvernementale qui sonne comme si on vous enlevait un peu de votre pouvoir et même le pouvoir des personnes que vous rêverez de manière si aveuglante pour le donner aux pauvres qui composent la majorité de la population, alors vous dirigez votre haine contre ces derniers. Vous les traitez même de babouins qui ne méritent pas le droit de vote. Une vague de haine et de sanction sociale ont ensuite suivies, surtout en ligne. Maintenant, les élites ont encore acquis plus de puissance grâce à l'ignorance de la classe moyenne. Et le fait que le groupe de gens soi-disant les plus instruits et progressifs, qui sont censés infliger des changements et rester au côté des pauvres ont irrémédiablement pris une position inverse erronée, est ce qui a fait toute la différence dans la lutte […]

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31 janvier 2016 7 31 /01 /janvier /2016 16:15
Le déjà-vu constitutionnel

Un article de Giles Ji Ungpakorn

https://uglytruththailand.wordpress.com/2016/01/31/constitutional-deja-vu/

 

Le processus "d’anti-réformes constitutionnelles" de la Thaïlande cahote comme certains anciens dinosaures. Le fait de donner plus d'emplois aux supporters de la junte en les finançant par plus d'argent public, a été gaspillé par un autre processus de rédaction de la pseudo-constitution. Le dernier projet était une abomination autoritaire et la nouvelle version de Meechai n’est pas vraiment différente (voir http://liberez-somyot.over-blog.com/2015/08/le-projet-de-constitution-thailandaise-de-la-junte-reporte-indefiniment-le-retour-a-la-democratie.html

et http://liberez-somyot.over-blog.com/2015/04/arriere-antidemocratique-et-infantile-le-projet-de-la-junte-pour-la-constitution-de-2015.html).

Meechai

Meechai

Le dernier projet est plus subtil que le projet de l'an dernier, réduisant le non-sens sur les dirigeants "bons" et camouflant le tout-puissant "Comité pour déterminer la stratégie de l'Etat et appliquer la réconciliation" sous un différend costume.

Ce dernier "Projet Meechai" vise à la création d’une Cour non élue encore plus puissante constitutionnellement. Cette dernière aurait le pouvoir de limoger un gouvernement élu. Ce corps "Supra-démocratique", nommé par les militaires et les conservateurs non-élus du Sénat et composé de réactionnaires de confiance, aura le pouvoir d'opposer son veto à toutes les politiques du gouvernement. Le Sénat sera entièrement nommé par un processus corrompu de copains de la junte élisant des sénateurs parmi eux.

Tout gouvernement élu à l'avenir devra respecter les "Politiques de l'Etat", comme indiqué dans la constitution, et la "Stratégie nationale". La durée de vie de la présente junte sera prolongée après qu’un gouvernement élu soit installé de façon à demeurer une force directrice dans la détermination de la "Stratégie nationale", selon des principes conservateurs. Tout gouvernement qui dépense "trop" pour les pauvres ou dévie de quelque façon de la ligne de "Stratégie nationale" fera objet d’une censure de la part de la Cour constitutionnelle.

Divers comités anti-réforme de la junte pourront toujours continuer à travailler après les élections. La junte elle-même sera une force directrice dans la "réforme de l'éducation" après l'élection. L'idée que des têtes de cons militaires comme Prayut puissent demeurer en charge de la politique de l'éducation fait que pour toute personne saine d'esprit, il ne restera plus qu’à rire et à pleurer en même temps.

Un Premier ministre non-élu qui ne sera pas un député élu sera toujours autorisé, même si vous devez examiner attentivement divers articles de la constitution afin de constater cela.

Les hauts dirigeants politiques de la faction de Taksin seront interdits de politique. Les sénateurs ne devront pas être associés à de présents ou récemment retraités politiciens, mais il n'y a aucun obstacle pour que des officiers militaires récemment retraités deviennent des sénateurs.

Les libertés et les droits civils seront autorisés, tant qu'ils ne seront pas une menace pour la "sécurité nationale" et les gouvernements élus devront appliquer les politiques néo-libérales de libre marché, en collaboration avec l'idéologie d’économie de suffisance du roi.

Le dernier projet a été rejeté par la propre assemblée nommée par la junte parce que ses membres avaient peur, à juste titre, qu’il soit mis à la poubelle par l'électorat lors d’un referendum. Le démarrage du processus de rédaction a, de nouveau, également été un moyen de gagner plus de temps pour la dictature afin qu’elle puisse rester au pouvoir et aussi une façon d'essayer de tirer vers le bas les citoyens afin qu'ils acceptent tout de même ces vieilleries de manière à ce que l'ensemble de ce fastidieux processus puisse être terminé.

Heureusement, de nombreux dirigeants pro-démocratie ont déjà dénoncé cet odieux document. Le dirigeant chemise rouge Nattawut Saikua a décrit l'effet de cette constitution comme étant "l'incarcération de tout futur gouvernement élu comme un oiseau chanteur emprisonné dans une cage dorée". Chaturon Chaisang, l'un des politiciens thaïlandais les plus honnêtes et ayant le plus de principes, a affirmé que les gens devraient se préparer à s'y opposer.

Pendant ce temps, la junte continue à maltraiter et à réprimer les militants pro-démocratie. Un membre étudiant du Mouvement pour la Nouvelle Démocratie (NDM) a été enlevé par des soldats dans le milieu de la nuit, conduit les yeux bandés dans un champ, et a reçu des coups de pied et des menaces avant d'être temporairement détenus dans un poste de police. Lui, ainsi que d'autres étudiants du NDM, avaient tentés de dénoncer la corruption militaire et ils ont refusés de cesser de protester contre le manque de démocratie.

En réponse aux questions sur le traitement de ces étudiants, le généralissime Prayut a hurlé à la presse que les universitaires devraient enseigner à leurs élèves à "respecter la loi" plutôt que leur enseigner la démocratie et les droits humains. Voici un exemple de l’hypocrisie provenant du soldat qui a organisé un coup d'Etat militaire illégal, a déchiré la constitution et a auparavant assassiné des manifestants non armés dans les rues. Pour les bouffons comme Prayut, "la loi", c’est ce que lui-même et sa bande de voyous décrète qu'elle soit.

Prayut a également affirmé que l'égalité des sexes ruinerait la société thaïlandaise.

Qu'une constitution démocratique puisse émerger d'une junte dirigée par un homme comme Prayut est au-delà des domaines de la plus ridicule fiction. Comme je l'ai maintes fois posté sur ce site, toutes les futures élections tenues en vertu de la constitution parrainée par la junte ne seraient simplement qu’un "modèle birman" d’ersatz de démocratie, avec le réel pouvoir demeurant dans les mains de l'armée et des conservateurs.

Il ne devrait avoir aucun répit dans les exigences de démocratie et pour le rejet de la dictature. Cependant, un changement démocratique ne se fera pas par de dignes déclarations des gouvernements étrangers ou en plaçant nos espoirs égarés sur les gestes symboliques d’individus courageux mais impuissants comme les étudiants du NDM.

Nous devrions également questionner le "crétinisme constitutionnel", très prisé par les intellectuels et les commentateurs en Thaïlande. Les constitutions ne créent pas de la démocratie. La démocratie se construit grâce à des mouvements sociaux puissants qui luttent pour les droits humains et l'autonomisation des citoyens. Étant donné le nombre de constitutions différentes et inutiles qui encombrent l'histoire thaïlandaise, on pourrait être tenté de faire valoir que l'absence de constitution, la création d'une "coutume et d’une pratique" de base pour les élections à tous les niveaux et le fait de forcer les élites à respecter les souhaits de la majorité, pourrait être un pas plus efficace pour progresser.

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27 janvier 2016 3 27 /01 /janvier /2016 11:48

Gildas Le Lidec, qui a été notamment ambassadeur de France au Cambodge de 1994 à 1998 et en Thaïlande de 2009 à 2011, a écrit un livre, «De Phnom Penh à Abidjan», sur sa vie de diplomate. L’un des intérêts de ce livre, c’est qu’il était en poste à Bangkok lors de la répression sanglante des Chemises rouges ordonnée par le tristement célèbre premier ministre de l’époque, Abhisit Vejjajiva. Gildas Le Lidec avait de la sympathie pour les Chemises rouges et il a d’ailleurs failli provoquer un incident diplomatique en 2011 lorsque dans le discours qu’il a fait devant le premier ministre Abhisit et son gouvernement à l’occasion de son départ de l’ambassade, il a souligné que ce n’était pas en massacrant des gens que l’on obtenait la démocratie. Dans son livre, il parle aussi de la différence des protocoles royaux des monarchies du Cambodge et de la Thaïlande et de la loi de lèse-majesté thaïlandaise.

Ci-dessous un extrait du livre «De Phnom Penh à Abidjan» de Gildas Le Lidec:

A dix ans d’intervalle, j’ai pu vérifier les différences de mode, de ton et de fonctionnement qui séparaient des cours royales distantes de moins de mille kilomètres l’une de l’autre et venant pourtant d’origines et de rites si similaires. Le protocole royal thaïlandais me paraissait empreint de rigueur, de pesanteur et d’opacité […] Les codes qui régissait la cour du Palais Khémarin à Phnom Penh me semblaient en comparaison allégés, vraisemblablement du fait de la personnalité même de Norodom Sihanouk, de son ton libre et facétieux et de l’image de drôlerie qu’il projetait sur le corps diplomatique dont il cherchait sans doute la complicité. J’ai encore le souvenir cauchemardesque des tours de table qu’il organisait à la fin des diners ou il recevait les ambassadeurs, demandant à chacun de chanter à tour de rôle le refrain le plus populaire de son pays […] La ligne de partage entre ces deux cours était à mes yeux essentiellement marquée par les prosternations que les sujets de part et d’autre de la frontière se devaient d’accomplir en salutations de leurs souverains respectifs ou «ayant-droit» des familles royales. Autant était terrifiante la soumission des Thaïlandais se jetant littéralement à terre au passage des suzerains, quitte à être piétinés par une princesse insouciante de 23 ans, autant était noble et beau le geste de chacun des membres de la famille royale khmère d’immédiatement se pencher pour empêcher que la prosternation aille jusqu’à une position pouvant être interprétée comme humiliante. Que la monarchie siamoise s’appuie encore sur un article presque inique de la Constitution pour punir de quinze ans d’emprisonnement le crime de lèse-majesté qualifiant comme tel le moindre manquement de respect pourrait en dire long sur «l’attachement» prêté à ce peuple envers la famille royale comprise dans sa formation la plus large. Au-delà des codes protocolaires et de fondements religieux très similaires, l’esprit m’a semblé bien diffèrent selon qu’on était sur les bords de la Chao Phraya ou du Tonlé Sap.

J’avoue, a ce terme de la délivrance mémorielle, avoir été profondément marqué par la révolte des «chemises rouges» qui, à Bangkok, ont au printemps 2010 tenu deux mois durant le cœur de cette gigantesque mégalopole […] Des échoppes campagnardes étaient improvisées aux différents carrefours du centre financier et commercial du pays, les parfumant de senteurs variées de la cuisine de l’Issan, considérée au nord-est de la Thaïlande comme la partie la plus pauvre du pays. On y retrouvait le naturel, la gentillesse et la gouaille des gens de cette région, qui ignoraient encore qu’ils étaient déjà les victimes de cette immense mascarade. Une atmosphère amicale, bigarrée et joyeuse s’en dégageait, qui me rappelait mai 68 à Paris, du moins dans sa partie monôme. Ce déploiement sauvage prenait un aspect profondément émouvant dans un pays autrement rivé sur d’institutionnelles pesanteurs et de notoires restrictions de liberté. Les images d’Epinal entretenues sur ce premier pays d’Asie à s’être ouvert au tourisme occidental de masse cachent de plus en plus difficilement les injustices, les déséquilibres, les exclusions qui en sont la réalité. La manifestation s’acheva dans le drame qu’annonçaient immanquablement les mesures de sécurité extrêmes prises pour la circonscrire. Comme si quelques dizaines de milliers de Bretons ou d’Auvergnats, descendus de leur province, avaient occupé, pour un Fest-noz magistral, soixante jours durant le centre de Paris, de la gare du Nord au Luxembourg, en érigeant des barricades et en veillant à faire la fête dans cet espace ainsi délimité. La réponse du gouvernement a été d’entourer le «foyer d’insurrection» de vingt mille soldats équipés lourdement comme s’ils partaient en campagne en Afghanistan et de les mettre en faction soixante jours durant sous une chaleur de plomb. Il était dès lors inévitable, faute de négociation ou d’utilisation de forces policières de proximité entrainées à cet effet, qu’une répression sanglante s’abatte, faisant plus de quatre-vingt-dix morts. Mais comme a l’habitude, aucune responsabilité ne fut et ne sera sans doute jamais retenue. Ainsi va depuis des décades la Thaïlande. Son sort se joue chaque fois dans un théâtre d’ombres ou des politiciens puissants et souvent masqués s’arrangent toujours pour retarder l’éclosion pourtant si nécessaire de l’aggiornamento siamois. Faute d’imagination et de générosité, les classes nanties de Bangkok épuisent à satiété des réflexes de défense d’arrière-garde sans avoir conscience qu’elles sapent les fondements même de l’institution royale qu’elles prétendent défendre.

Pages 175, 176, 177, 178 du livre «De Phnom Penh à Abidjan» de Gildas Le Lidec

Couverture du livre «De Phnom Penh à Abidjan»

Couverture du livre «De Phnom Penh à Abidjan»

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24 janvier 2016 7 24 /01 /janvier /2016 14:57

Un article de Giles Ji Ungpakorn

Lien :

https://uglytruththailand.wordpress.com/2016/01/24/the-red-shirts-today/

 

Un article récent, datant de la fin de l'année dernière, publié par le journal en ligne "Prachatai" discute de l'état du mouvement chemise rouge sous la dictature militaire dans le nord-est et le nord du pays. Il est basé sur des entretiens avec des militants locaux. Tous les militants ont été visités à plusieurs reprises par des officiers militaires. Les gens ont été emmenés dans des camps militaires pour des sessions de "changement d'attitude" et certains ont reçu l’ordre de se présenter à l'armée une fois par semaine. Naturellement, cela n'a pas été le cas pour la plupart des Chemises jaunes royalistes ou des partisans de Sutep.

Alors que de nombreux militants des Chemises rouges soutiennent toujours Taksin, ils soulignent qu'ils ne sont pas ses disciples ni ses serviteurs, et qu’ils peuvent prendre des décisions politiques pour eux-mêmes. Beaucoup sont très critique vis-à-vis de la direction de l'UDD, expliquant que cette dernière semble n’avoir aucune stratégie pour la poursuite de la lutte. Certains militants plus indépendants d'esprit critiquent également Taksin et souhaitent voir une approche plus militante.

Quand ils parlent des mobilisations passées, ils brossent un tableau de l'auto-activité et sur la collecte de fonds afin de se rendre à de grandes manifestations, comme celles qui ont eu lieu à Bangkok. Beaucoup des groupes chemises rouges d’origine ont fusionnés autour des stations de radio locales après le coup d’Etat militaire de 2006. Certains groupes sont également dirigés par des "Hua Kanan" locaux (les "Hua Kanan" sont des personnes qui négocient avec les politiciens afin d'apporter les votes de leur communauté pendant les élections).

Un développement intéressant est que de nombreux militants voient la nécessité pour les populations locales de voter pour ceux qui devraient se présenter comme leur députés Pua Thai dans la région plutôt que d'avoir un candidat qui leur soit imposé d'en haut.

Après la brutale répression de l'armée en 2010, lorsque le gouvernement d’Abhisit soutenu par les militaires, en collaboration avec la bande de Prayut, a délibérément fait abattre des manifestants non armés dans les rues, un certain nombre de militants chemises rouges souffrent encore de traumatismes psychologiques. Ils craignent les fortes explosions ou les bruits semblables. Les dirigeants chemises rouges locaux aident ces personnes et aussi les familles de ceux qui ont été tués.

Compte tenu de la répression militaire à l'heure actuelle, l'activisme politique ouvert est considéré comme risqué. Cependant, de nombreux militants des Chemises rouges se réunissent lors de rassemblements ou les habitants auraient été de toute façon indépendamment de la crise politique. Ces rassemblements sociaux, qui sont difficiles à réprimer pour les militaires, fournissent des opportunités pour les discussions politiques.

Beaucoup de Chemises rouges voient cette période comme un " calme interlude" pour la réflexion, la discussion, l'étude politique et peut-être pour la réorganisation du mouvement afin de se préparer pour la prochaine lutte. Mais l'histoire des mouvements sociaux nous enseigne que l'inactivité prolongée peut conduire au dépérissement et la désintégration de ces mouvements. Quoi qu'il arrive à l'avenir, le mouvement chemise rouge est maintenant plus fragmenté et autonome qu'avant avec de nombreux militants rejetant la direction centralisée de l'UDD. Cela peut être à la fois une source d'autonomisation et une source de faiblesse, selon que les militants parviennent à reconstruire un mouvement uni à partir de la base ou qu’ils laissent la fragmentation continuer.

Les Chemises rouges à Bangkok en novembre 2013

Les Chemises rouges à Bangkok en novembre 2013

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17 janvier 2016 7 17 /01 /janvier /2016 17:24

Un article de Giles Ji Ungpakorn

Lien:

https://uglytruththailand.wordpress.com/2016/01/17/laura-witheridge-makes-some-serious-points-about-the-thai-justice-system/

 

Toute personne décente doit sympathiser avec la colère exprimée par Laura Witheridge sur la façon dont les autorités thaïlandaises ont manipulés l'enquête sur le viol et l'assassinat de sa sœur Hannah à Ko Tao. L’ami d’Hannah, David Miller, a également été brutalement assassiné.

Laura Witheridge détruit le mythe de la Thaïlande comme étant "Le Pays du Sourire" ainsi que l'image de paradis de plage qui attirent les touristes étrangers. La Thaïlande n’est pas un pays de gens doux qui sourient constamment. Le taux d'assassinat est scandaleusement élevé et de nombreux militants politiques sont abattus de sang-froid dans les rues. Les meurtriers, qui sont souvent des fonctionnaires ou des personnes ayant des connexions étatiques puissantes, restent impunis. Les soi-disant "paradis de plage" sont principalement contrôlés par des gens de la mafia qui s’enrichissent en exploitant brutalement des travailleurs migrants venus des pays voisins afin de fournir des services aux vacanciers.

Depuis de nombreuses années je ressentais un mélange de tristesse et de dégoût en constatant la façon dont les vacanciers en provenance d'Europe et d'autres pays venaient en Thaïlande et restaient dans une bulle complète en montrant peu d'intérêts pour ce qui se passe dans ce pays. L'idée d’aller en vacances dans un pays étranger tout en n’ayant aucun intérêt pour sa politique et sur sa société reste perplexe pour moi.

Mlle Witheridge a raison à 100% quand elle fustige la police thaïlandaise pour être à la fois corrompue et incompétente. Les Thaïlandais ordinaires, y compris moi-même, ont connu cela de première main durant l'ensemble de leurs vies et en ont véritablement marre de cette situation. Beaucoup de gens sont en colère et en ont ras-le-bol de l'arrogance et de l'insensibilité des fonctionnaires du gouvernement lors de leur communication avec le public. Ceci est aussi quelque chose qui a été mentionné par Mlle Witheridge et cela semble convaincant.

La réaction de la police aux meurtres Ko Tao me rappelle les paroles du chef de la police dans le film "Casablanca". "Rassemblez les suspects habituels!" aboie-t-il à ses sous-fifres. En Thaïlande, les "suspects habituels" sont des travailleurs migrants birmans.

Mlle Witheridge a également souligné un point important sur le racisme de nombreux Thaïlandais et comment ils méprisent les étrangers, y compris les touristes occidentaux. Lors d’articles précédents publiés sur ce site, j'ai moi-même critiqué le racisme récurant de la société thaïlandaise. Voir http://liberez-somyot.over-blog.com/2014/09/la-thailande-est-une-societe-extremement-raciste.html et http://liberez-somyot.over-blog.com/2015/07/ce-que-les-scandales-de-l-esclavage-des-rohingyas-et-de-ko-tao-nous-revelent.html

Je peux facilement pardonner à Laura Witheridge d’avoir fait de grandes et furieuses déclarations contre les Thaïs et la société dans laquelle ils vivent. Ce qui est arrivé à sa sœur est épouvantable et les photos du cadavre de cette dernière postée sur Facebook [par certains thaïlandais] dont j’ai été témoin, a démontré une insensibilité incroyable (http://liberez-somyot.over-blog.com/2014/09/la-honte-de-la-thailande.html).

Mais nous ne devons jamais oublier que la plupart des Thaïlandais, comme la plupart des Britanniques, des Français, des Syriens ou des Irakiens ordinaires, ne sont ni vicieux, ni cynique.

Beaucoup de Thaïlandais montrent de la chaleur, de la compassion et de la solidarité. Nombreux sont ceux qui sont bouleversés par les viols et les meurtres crapuleux et beaucoup souhaitent voir la police et le système de justice pénale soumis à de radicales réformes. Alors que certains Thaïlandais sont conservateurs et soutiennent l'autoritarisme, d'autres se battent pour la liberté, la justice et la démocratie. La société thaïlandaise a deux visages.

Que la société thaïlandaise ait deux visages n’est guère surprenant. Après tout, il s’agit une société de classes. Cela contribue à expliquer une grande partie de ce que Mlle Witheridge reproche.

La Thaïlande est gouvernée par une classe dirigeante hiérarchique, égoïste et brutale. Voilà pourquoi les salaires des travailleurs ordinaires sont pitoyablement bas. Voilà pourquoi la plupart des travailleurs migrants et thaïlandais sont considérés avec mépris. Il n'y a pas de justice pour la plupart des citoyens. Des lois vicieuses, comme la loi de lèse-majesté, sont là pour tenter de faire respecter la loyauté envers la monarchie, les élites et les militaires. Au sommet de ce tas de fumier qui empeste, il y a maintenant une dictature militaire qui agit en toute impunité.

La classe dirigeante thaïlandaise utilise les idéologies extrêmes de la monarchie et du nationalisme pour soutenir son règne brutal et cela est socialisé de sorte que c’est instillé dans le cerveau de la plupart des gens à un âge précoce. A part le fait qu’il s’agit d’une explication de l'aspect extérieur et faux comme quoi tout le monde aime la monarchie et est fier d'être Thaïlandais, cela explique le racisme dans la société.

Vu de cette manière plus large, ce que Mme Witheridge décrit à propos de la Thaïlande est l'expérience de ce que la plupart des Thaïlandais vivent ou ont vécus. C’est le symptôme d'un régime autoritaire sous toutes ses formes complexes. En dehors du but final de renverser la dictature et de construire une société plus juste et socialiste, il y a une tâche très urgente concernant les meurtres de Ko Tao. Nous devons nous battre pour sauver la vie de deux innocents hommes birmans qui sont devenus les boucs émissaires de la junte. Ces hommes doivent être considérés comme "innocent" jusqu'à preuve du contraire et a cause du fait que la soi-disant preuve concoctée contre eux par la police thaïlandaise est contradictoire et hautement suspecte. Les policiers ont également utilisé la torture pour obtenir des confessions, une pratique largement utilisée à la fois par la police et par l'armée.

Tragiquement rien ne pourra ramener à la vie Hannah Witheridge et David Miller. Mais les vies de deux autres personnes peuvent encore être sauvées. Nous devons faire tout notre possible pour aider Zaw Lin et Win Htun.

A gauche, Laura Witheridge, à droite, une manifestation de soutien pour Zaw Lin et Win Htun en Birmanie

A gauche, Laura Witheridge, à droite, une manifestation de soutien pour Zaw Lin et Win Htun en Birmanie

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15 janvier 2016 5 15 /01 /janvier /2016 16:51

"Pourquoi je n'aime pas le roi" est un Essai écrit en juin 2010 par l’activiste thaïlandaise Junya Yimprasert, aujourd’hui exilée politique en Finlande, et traduit en français par une personne qui souhaite rester anonyme. Cet essai a valu à Junya une inculpation pour lèse-majesté et depuis, elle ne peut plus retourner en Thaïlande ou elle risque d’être condamné a plusieurs dizaines d’années de prison.

Junya Yimprasert

Junya Yimprasert

Le lien en anglais de l’Essai de Junya:

http://www.globallabour.info/en/2010/06/why_i_dont_love_the_king_by_ju.html

 

Voici la traduction en français de l’Essai de Junya:

Pourquoi je n'aime pas le roi

Pourquoi des Thaïlandais ont donné l'ordre à l'Armée royale thaïlandaise de tuer des Thaïlandais? Pourquoi l'Armée royale thaïlandaise empêche les Thaïlandais d'exprimer leurs griefs légitimes dans les rues de leur capitale - la Cité des Anges?

Quelle est et qui est à l'origine de la folie qui s'est emparé de la Thaïlande au début du 21eme siècle?

Pour tous les Thaïs conscients d'être des Thaïs, ainsi que pour toutes les personnes non-thaïes, l'ordre récent qui a permis de tuer des Thaïlandais est la preuve choquante de l'impact de 64 années de propagande "d'amour du roi".

Après la répression militaire contre les manifestants chemises rouges en avril 2010 et les combats de rue qui ont suivi, les canaux de télévision traditionnels thaïlandais ont montré des interviews d’habitants de Bangkok pleurant pour leurs bâtiments en feu et ont largement ignoré les scènes de carnage et de chasse à l'homme dans les rues de cette ville où plus de 90 personnes sont mortes.

Il n'y a pas eu de mots pour soutenir la douleur des personnes endeuillées de la part du premier ministre (Note du traducteur (NDT): à l’époque c’était Abhisit Vejjajiva, tristement surnommé "le Boucher de Bangkok"), de son gouvernement ou de ses disciples. Il est devenu clair pour tout le monde que leurs valeurs matérielles étaient au-dessus de leur préoccupation pour la vie des Thaïlandais ordinaires. La violence d'Etat, qui a tué plus de 90 personnes en avril 2010, a démontré une exposition terrible des divisions de classe en Thaïlande.

Il y a 3,4 millions de Thaïlandais connectés à Facebook (NDT: cet essai a été écrit en juin 2010, aujourd'hui il y en a plus de 20 millions), un nombre qui comprend principalement des utilisateurs de l'élite éduquée. Bien que le gouvernement thaïlandais ait bloqué des dizaines de milliers de sites qui critiquait la monarchie, Facebook reste ouvert en tant que forum pour que chaque côté puisse se lancer des accusations les uns contre les autres. Voici un énoncé classique du camp de la "protection du roi":

"Nous savons qui nous sommes. Nous insistons pour notre monarchie. Nous ne sommes pas dépendant comme les autres pays d'Asie car nous avons un bon roi. Nous sommes fiers d'avoir un roi sincère. L'argent du roi, il l'utilise pour son peuple. Cela illustre le fait qu'il n'est pas extravagant ... etc...etc... je préfère penser à mon roi plutôt que de respecter les politiciens avides. Je veux vous demander pourquoi vous continuez à insister sur une question spécifique à la Thaïlande qui concerne les Thaïlandais???"

En 2008, le roi de Thaïlande a été nominé par le magazine Forbes comme étant le plus riche souverain du monde car il possède des biens évalués à 35 milliards de dollars.

Lors d'une cérémonie pour un prix du Meilleur Acteur, le 16 mai 2010, au moment de la répression militaire, un acteur thaïlandais bien connu a déclaré:

"Si vous détestez notre père ou ne l'aimez plus, s'il vous plaît partez, parce qu'ici c'est la maison du père, c'est la terre du père. J'aime le roi, et je pense que chacun d'entre nous adorons le roi, nous sommes tous de la même la couleur. Ma tête appartient au roi."

Ce discours magique a été immédiatement suivi par une attaque Internet contre un autre acteur - pour avoir bégayé lors de son discours. Également à la cérémonie, sa malheureuse fille avait été filmée à la télévision en ne chantant pas des paroles composées par le Roi. Elle a également été attaquée. Toute la nuit, aussi bien le père que l'actrice, sa fille, ont été bombardés d'accusations et d'annulations de contrats et ont subis une grande pression jusqu'à ce qu'ils déclarent qu'ils étaient de fidèles monarchistes.

Le discours a ensuite été imprimé sur le site Web du Centre pour la Résolution des Situations d'Urgence, un organisme que le gouvernement avait mis en place et qui a émis les ordres d'utiliser des balles réelles contre les manifestants.

Tout récemment, une étudiante de 18 ans s'est vu refuser l'inscription dans deux universités financés par le gouvernement, car elle avait participé aux manifestations des Chemises rouges et critiqué la monarchie. Une chasse aux sorcières par internet a été montée contre cette fille qui a dû s'incliner devant une image du roi. Elle a été sauvée d'un danger physique grâce à une bourse pour étudier à l'étranger.

Quand les élèves qui ont passé les examens pour entrer dans une université sont empêchés de le faire, pourchassés et persécutés, parce qu'ils osent critiquer le roi, il est nécessaire de parler encore plus fortement. Ce ne sont que des exemples mineurs pour illustrer l'énorme folie qui submerge le public thaïlandais au début de ce siècle.

Toutes les personnes ont leurs limites, et je vous écris cette lettre pour que les gens sachent pourquoi il m'est devenu impossible d'avoir de l'amour pour le roi.

Née pour aimer le roi et la reine

Des photos anciennes des jeunes et beaux roi et reine, ainsi que du prince et des princesses, étaient toujours sur le mur vide de notre maison de famille. Peu importe combien de fois nous avons dû construire ou reconstruire notre maison, ces images ont toujours été avec nous, et sont toujours retournée à l'endroit le plus élevé du mur. Elles étaient encore là sur le mur vide lors de ma dernière visite chez moi, les couleurs ternes et colorées aux angles par des gouttes de pluie.

Dès que j'ai pu ouvrir les yeux j'ai vu la photo du roi, dès que j'ai pu comprendre quelques mots on m'a dit que nous devons aimer le roi et la reine, car ils sont notre roi et notre reine.

Nous avons été amenés à croire qu'ils étaient les plus grands de tous les rois et reines, et la télévision était saturé des programmes sur les projets et les organismes de bienfaisance royale. Personne dans ma famille n'avait jamais rencontré le roi, mais nous avons tous aimé le roi, car tout le monde disait qu'il était un bon roi.

Quand j'étais toute petite, nous allions chez les voisins pour regarder la télévision. Ma grand-mère et ma mère avaient une dépendance ordinaire pour les nouvelles de 20 heures au sujet de la famille royale. Le fait qu'ils regardaient les nouvelles royales faisait partie de leur code de pratique pour être de bons citoyens. Lorsque le gouvernement leur disait d'allumer une bougie pour le roi, ils le faisaient sans aucun doute, et ils ont vraiment aimé le beau roi et la belle reine, le jeune prince et les princesses, et n'ont jamais cessé de commenter sur la façon dont ils les regardaient, ils les voyaient gracieux. Néanmoins, comme tous les enfants, nous étions impatients que les programmes royaux se terminent afin de pouvoir enfin continuer à regarder les feuilletons thaïlandais à l'eau de rose.

Mon village est un vieux village rizicole d'environ 200 familles. Des années 1960 aux années 1980, c'était un village très animé. Tout le monde connaissait tout le monde et la moitié du village étaient des parents. Presque tout le monde a participé aux cérémonies des ménages de tous les autres - de la naissance à la mort.

Près de la moitié de l'année, notre village était inondé et de nombreuses maisons étaient reliées par des passerelles de bois aux autres habitations. Pour nous, les petits enfants, il était facile et amusant de sauter de maison en maison sans avoir à passer par les échelles. Nous pouvions entrer dans la cuisine de tout le monde avec aisance et voir la nourriture qu'ils avaient, et nous mangions ensemble, selon les idées des uns et des autres: quoi faire cuire et comment le cuisiner. Mais généralement, il n'y avait pas grand-chose, juste du riz, des nouilles, du piment, des légumes et du poisson. Parce que, durant les crues, peu de gens pouvaient élever des poulets. Nous avons dû acheter presque tout à crédit, et je ne me souviens pas avoir eu la chance d'avoir eu un œuf entier seulement pour moi avant mon entrée en école secondaire.

Les inondations signifiaient que nous ne pouvions cultiver qu'une récolte par an. Lors des inondations, nous devenions des pêcheurs. Il y avait de nombreux festivals locaux et nous nous y rendions principalement par bateaux. Nous passions des jours à préparer la nourriture pour les festivals et nous jouions notre propre musique. Aujourd'hui, beaucoup de ces festivals ont disparu et la simplicité, la cérémonie et le rituel de ceux qui restent ont changé, car les villageois louent des groupes d'ailleurs avec des filles qui dansent en bikini.

Les années 1970 ont apporté des améliorations à notre village. Un chemin de terre a été construit pour nous, un lien vers le bureau du district, et ensuite sont apparues l'électricité et beaucoup de poussière. Des canaux d'irrigation ont été creusés et pour limiter les inondations des champs. Cela a permis aux villageois de planter plus d'une récolte par an, et quatre de mes frères et une sœur peuvent désormais cultiver du riz deux fois et quelques fois (très rarement) trois fois par an.

À la fin de 1990, la route a été élargie et recouverte d'asphalte, et moins de poussière a soufflé dans nos maisons. Le village n'a reçu d'alimentation en eau potable qu'au milieu des années 90. Au moment où la ligne téléphonique, promise depuis longtemps, avait atteint quelques maisons, presque tout le monde avait déjà un téléphone mobile.

Mon village est situé à 100 kilomètres de Bangkok, mais des centaines de kilomètres plus loin, dans le Nord-est, les mêmes évolutions sont venues plus tard.

Après que le grain ait été vendu et quand les villageois avaient un peu d'argent, des hordes de vendeurs avec des paniers de ceci et cela sur leurs épaules passaient à travers le village. Beaucoup d'entre eux marchaient d'un village à l'autre pour vendre toutes sortes de marchandises; des moustiquaires, casseroles, poêles, couvertures - et des photos de la famille royale.

Je me souviens quand ma grand-mère achetait des tableaux du roi et de la reine, chacun d'entre eux enveloppé d'un flamboyant cadre doré, qu'elle mettait avec beaucoup de fierté dans le plus haut lieu de sa maison. Et je me souviens comment ma mère était si déçue parce qu'on ne pouvait pas se permettre d'acheter ces portraits.

C'est ainsi que j'ai adoré mon village et que nous avons "aimé" le roi et la reine, bien avant que j'ai pu réfléchir sur le sens de l'amour.

Notre amour pour la famille royale a été un amour inconditionnel, une infime partie du grand capital "d'amour" que le roi et la reine de Thaïlande ont eu le privilège de recevoir de la population thaïlandaise, et de s'habituer à prendre cela pour un acquis - comme si c'était leur droit divin.

Mis à part le plaisir que nous les enfants avions, grâce à notre grand espace pour courir et toute cette eau pour nager, ma famille de 9 enfants luttait pour vivre avec le peu d'argent que nous recevions pour notre grain. Au début des années 60 mes parents avaient décidé de déménager à la montagne située à 100 km au nord.

Là-bas, nous avons travaillé à défricher la forêt jusqu'à ce que nous ayons eu environ 8 hectares de hautes terres prêtes pour la plantation des cultures de rente dont le gouvernement faisait la promotion, mais ma famille n'avait pas de chance. Peu importe lesquelles des nouvelles cultures de rente nous avions planté selon l'avis du gouvernement (manioc, maïs, soja, arachides, tournesol, coton, canne à sucre, etc.), au moment où notre récolte était prête, les prix marché était tombé trop bas pour que nous puissions faire des bénéfices.

Dès que j'ai pu marcher et courir, j'ai travaillé dans les champs avec ma famille. Selon les normes modernes, ce que mes frères et sœurs et moi faisions serait considéré comme du travail des enfants. A neuf ans, j'étais déjà la cuisinière et la femme de ménage de la famille.

Comme pour le cas de la plupart des agriculteurs comme nous, le coût des semences, engrais, insecticides, matériel agricole et de l'entretien ménager général, faisait que nous n'avions jamais d'argent en réserve et ma famille était de plus en plus endettée. Nous vivions dans ce cycle interminable de la dette qui augmentait. Nous mangions ce que la forêt et les cours d'eau pouvaient nous donner. Tout le reste était acheté à crédit. Depuis l'époque où la propagation de la révolution verte a été proclamée en Thaïlande, la dette des familles des petits agriculteurs n'a jamais cessé de croître. Ces jours-ci, la dette moyenne des familles agricoles en Thaïlande est d'environ 6.000 euros.

J'étais une enfant faible et souvent malade. Ma mère devait constamment chercher des médecins pour moi, souvent en fait juste des ambulanciers et des infirmières, mais ce que dans notre village nous appelions des médecins. Puis, enfin, deux de mes sœurs m'ont emmené avec mes parents à l'hôpital Sirirat de Bangkok, où elles travaillaient comme agents de nettoyage. C'est là, en 1977, quand j'avais 11 ans, que j'ai été enfin examinée par un vrai médecin, et diagnostiqué comme ayant la thalassémie, une maladie génétique commune en Thaïlande. Ma famille n'en avait jamais entendu parler, ni, on peut le supposer, les "docteurs" de notre village, et je m'étonne aujourd'hui d'avoir survécu à tous les traitements qu'ils nous prescrivaient.

A cette époque, il n'y avait pas de service de santé public. Si un membre d'une famille pauvre tombait malade, le coût des cliniques et hôpitaux privés signifiait souvent que la famille devait vendre ses terres. Beaucoup de familles ont été poussés à la faillite et à la misère, et beaucoup le sont encore, parce que peu de familles osent encore mettre leurs proches entre les mains du système "de soins de santé gratuit".

Quand j'étais enfant, les familles thaïlandaises, riches et pauvres, accordaient beaucoup d'attention à courtiser la faveur des agents du gouvernement et des politiciens. Pour les pauvres cela était particulièrement important: un enfant fonctionnaire du gouvernement pouvait utiliser les services médicaux gratuits pour ses parents.

Mes deux sœurs, qui m'ont emmené dans leur hôpital de Bangkok pour mon premier véritable check-up, sont de vrais anges. Toutes les deux ont travaillé à l'hôpital et fait de nombreuses heures supplémentaires depuis l’âge de 20 ans, pour payer l'éducation de ma jeune sœur et de moi-même ainsi que pour garantir des soins de santé à mes parents.

Souvent, j'ai critiqué ma mère en lui reprochant d'être la femme la plus inorganisée du monde, et cela était vrai, elle ne savait pas comment nettoyer ou laver les vêtements et ce n'était pas une bonne cuisinière, mais c'était une femme très pratique quand il s'agissait de la confection des filets, des paniers et des engins de pêche, et aussi pour la plantation. Elle était aussi bien meilleure que mon père pour la pêche et le travail des champs. Mon père était le contraire d'elle, il aimait cuisiner et nettoyer la maison.

Ma mère était une personne gentille et généreuse qui donnait toujours à ceux qui étaient plus pauvres que nous et nourrissait toujours les chats et les chiens qui venaient à la maison, mais, en plus de sa dépendance au bétel, elle avait une habitude qui a souvent embarrassé toute ma famille. Elle ne pouvait pas cesser de discuter avec de parfaits étrangers. Dès qu'elle était assise dans un bus, elle commençait à parler à la personne à côté d'elle. La plupart du temps, elle racontait comment nous étions brillants à l'école et, en riant, parlait de son mari ivrogne. Cependant, chaque fois que ma sœur cadette, son neuvième enfant, ou moi étions malades, elle était toujours là juste à côté de nous. Elle ne m'a jamais laissé seul dans une clinique et, souvent, nous sommes restés ensemble pendant toute la nuit.

Quand je constate qu'aujourd'hui, les gens sont de plus en plus dur et froid, je regarde en arrière et je me rends compte combien ma mère avait une si belle personnalité, avec son énergie positive toujours prête pour communiquer avec d'autres personnes. Pour moi, ma mère a été et demeure la meilleure mère du monde.

Lorsque le gouvernement a fait la promotion de la reine comme étant la "Mère de la Nation", juste avant la sanglante répression militaire en 1976, j'ai été incapable de penser à elle comme une mère. La reine était la reine, mais ma mère était la plus grande femme de ma vie. Cela ne signifie pas que je n'ai pas admiré la reine dans toutes ses robes glamour et ses bijoux. Les médias ont longtemps tenté de proclamer que notre reine était la plus belle reine du monde et, puisque nous n'avions jamais vu aucune autre reine, nous pensions tous qu'elle l'était. Eh bien, je ne pense pas avoir été la seule à penser que ma propre mère est la meilleure mère du monde.

Les communistes vont manger votre foie et vous brûler vif!

Lors de ma première et deuxième année à l'école, deux de mes frères, une sœur et moi, tous les quatre ensembles, devions marcher pieds nus pour nous rendre à notre école primaire, ce qui faisait en tout environ 4 km. L'école faisait partie du complexe d'un petit temple au milieu de la forêt. Nous avons marché pieds nus partout. C'était normal à cette époque et il est encore fréquent pour la plupart des Thaïlandais d'aller pieds nus à l'école ainsi que pour la plupart des gens en Asie du Sud-Est.

Lorsque nous avons vendu nos terres dans les montagnes et sommes retourné dans les rizières, j'étais dans ma troisième année d'école. C'était en 1976.

À mon école, on nous a enseigné de nouvelles chansons du roi et à nous sentir fiers de lui pour son talent à composer de belles chansons.

Lors d'un concours inter-écoles en 1977 ou 1978, je me souviens que nous devions nous entrainer à chanter deux chansons du Roi, pendant des semaines et des semaines. Quand arriva le jour du concours, mon frère et moi étions habillés en costume traditionnel et devions marcher en dansant sur une route de terre de deux kilomètres, pour nous rendre dans une plus grande école faisant partie d'une communauté élargie.

C'était il y a bien longtemps, mais ce jour-là est toujours vivant dans ma mémoire. Toute ma famille était très excité, mais nous n'avons pas d'argent pour nous préparer à cet événement, et nous n'avions pas non plus d'huile de cuisson. Donc, mes sœurs se sont réveillées tôt ce matin-là, pour presser le jus de la chair de noix de coco et le faire bouillir sur le feu jusqu'à ce que l'huile soit sortie. Ce riz frit et ces œufs étaient pour notre déjeuner, donc elles les ont enveloppées joliment dans des feuilles de lotus, mais nous avions honte car nous n'avions pas de jolis paniers de riz. Aujourd'hui, un repas de riz enveloppé dans des feuilles de lotus pourrait être considéré comme super, mais à cette époque, c'était une raison suffisante pour que des enfants comme nous nous sentions profondément honteux.

Nous étions fiers de notre part à cette activité et nous nous sommes amusés à chanter la chanson intitulée "Nous nous battons" (Rao su), mais aucun de nous ne comprenait ce que la chanson voulait dire. Ce n'est que tout récemment que j'ai appris que la chanson "Rao su" avait été écrite pour encourager les soldats et les gardes-frontières à ne jamais abandonner et combattre l'ennemi de l'Etat jusqu'à la mort. A cette époque, l'ennemi de l'État, c’était les communistes.

Dès l'âge de sept ou huit ans, on m'a dit de "Méfie-toi des communistes" parce que "Ce sont des démons qui vont manger ton foie et te brûler vivante", et que "Si tu es entêté les communistes viendront t'emporter". Je me souviens combien j'avais peur des "communistes" et comment cette peur est entré dans mes rêves.

Quand finalement j'ai appris qu'il y a beaucoup de pays où les partis communistes font partie de la vie ordinaire, ma première pensée a été: "Oh là là! Pourquoi mon gouvernement s'est tellement trompé?"

Dans mon école secondaire, Pridi Phanomyong, le père de la démocratie en Thaïlande, était ouvertement qualifié de "communiste" par notre professeur de sciences sociales, et tous les événements de sa vie étaient décrits avec le moins de mots possible.

Encore une fois, plusieurs années devaient s'écouler avant que j'apprenne que Pridi n'était pas communiste et qu'il était en fait le premier champion de la protection sociale ainsi que de la sécurité sociale en Thaïlande et que la Constitution écrite en 1946 par son gouvernement a été la constitution la plus démocratique que la Thaïlande n'ait jamais eu. Et un peu plus tard j'ai commencé à comprendre que, depuis le coup d'Etat royaliste qui avait chassé Pridi du gouvernement en 1947, la démocratie en Thaïlande n'avait fait que stagner.

Chanceux numéro 7

La plupart de mes sœurs et frères ont vraiment bien travaillé à l'école primaire, mais ma famille était trop pauvre pour envoyer ses neuf enfants à l'école secondaire. Par ailleurs, le plus jeune d'entre eux ne pouvait pas être laissé seul sans surveillance et les plus âgés avaient à s'occuper d'eux-mêmes quand les adultes étaient au travail.

La chance est venue grâce au septième enfant. J'étais destiné à devenir la première femme de ma famille ainsi que la première du village à obtenir un diplôme d'une université célèbre, mais je ne le savais pas à l'époque.

Lors de ma dernière année au lycée, j'ai gagné le Prix Royal d'éducation de ma région. Ma famille et l'école étaient euphoriques. Mon nom était sur le plateau réservé aux étudiants ayant obtenu les meilleures notes. Je ne pouvais pas y croire. Je n'avais jamais pensé que j'étais intelligente. J'étais timide, une simple élève n'ayant rien de spécial. J'étais abasourdie. Comment était-il possible que je puisse avoir gagné une si grande compétition?

J'ai également réussi à passer l'examen pour entrer dans la célèbre Université Silpakorn. Quelques mois avant d'entamer mon premier semestre à Silpakorn, je devais aller à Bangkok pour recevoir mon prix Royal. Un professeur principal et ma mère devaient de m'accompagner au Palais et je devais recevoir le prix de la princesse Sirindhorn, la princesse royale. Ma mère et mes professeurs du collège étaient très excités.

Mon professeur, ma mère, une de mes sœurs et moi-même, nous sommes réunis à Bangkok dans un bâtiment du ministère de l'Éducation, où nous avons passé une journée complète à apprendre comment se présenter devant un membre de la famille royale.

Tout s'est bien passé durant la cérémonie. Mon école a pris mon certificat et l'a accroché sur le mur de la chambre du recteur, le seul certificat attribué à un enfant de mon district. J'ai reçu 2.000 Baht dans une boîte de couleur or, et ma mère a reçu une photo de la princesse qui me tendait la boîte. La photo a été accrochée sur notre grand mur vide pour les voisins et les visiteurs. La boîte repose encore dans la garde-robe.

Les frais pour aller recevoir le prix était sans doute équivalent à ce que j'ai reçu, mais la valeur morale pour ma famille et l'école a été beaucoup plus grande, et les 2.000 Baht (récompense du Ministère de l'Education) m'ont aidé à vivre pendant deux mois d'université.

Université

Cela ne faisait pas longtemps que j'étais à l'université quand j'ai commencé à réfléchir à ce que les étudiants devaient coûter au budget de l'Etat, et j'ai réalisé que seulement 5% des étudiants étaient issus de familles pauvres comme la mienne.

C'est à la Faculté des Arts, au Département des Sciences sociales et du Développement, que j'ai appris sur la justice sociale, et j'ai compris très tôt que je devais lutter pour les pauvres, pour les petits agriculteurs. C'est là que je me suis promis que j'allais consacrer ma vie à réduire l'écart entre les riches et les pauvres.

J'étais une étudiante très active et je prenais toutes les occasions possibles pour aller dans les villages, et je voyageais beaucoup, dans chaque région, apprenant de l'autonomie, la diminution de l'autosuffisance et la pauvreté.

C'est Silpakorn qui m'a appris que, dans le but d'apporter la justice, l'harmonie et le développement de notre société, les privilégiés doivent cesser d'exploiter leur privilège et réduire leur consommation. C'est là que j'ai réalisé que nous devrions tous travailler pour les exploités et les marginalisés, pour la justice et l'égalité, et aussi que j'ai appris sur la liberté et la démocratie, et développé ma passion pour le travail pour les pauvres.

Je suis reconnaissante à Silpakorn pour ce que j'y ai appris. Quand j'ai entendu dire que c'était mon université qui avait refusé d'admettre la jeune fille de 18 ans, l'université qui m'avait appris pourquoi notre société est divisée par classes, j'ai été choqué: ma propre faculté bien-aimée refusant d'admettre une brillante étudiante parce que celle-ci pratiquait son droit à la liberté d'expression! Ce fut un coup dur et une nouvelle prise de conscience.

Le plus beau cadeau de ma vie a été l'éducation, et je remercie ma famille, du plus profond de mon cœur pour leur décision de m'envoyer à l'école. Je remercie et je ne remercierai jamais assez mes parents, frères et sœurs - pour s'être privé eux-mêmes pour que ma sœur et moi puissent aller à l'université. Je ne désire pas plus de ma famille.

Uniformes

En entrant à l'université, j'ai trouvé la cérémonie Sotus inutile. La cérémonie Sotus (Seniority, Order, Tradition, Unity, Spirit - en français: Ancienneté, Ordre, Tradition, Unité, Esprit) est une pratique de plus en plus courante, et souvent laide et cruelle, dans les établissements d'enseignement supérieur de Thaïlande. Elle est conçue pour humilier les étudiants et les habituer en outre à accepter l'inégalité hiérarchique.

Je détestais l'uniforme des universités et l'ai rarement porté. Je me sentais dégoûté car, alors que nous avions plus de 18 ans et le droit de vote, les décideurs de l'université supposaient que nous ne savions pas comment nous habiller et qu'eux seul savaient quels vêtements étaient bons pour nous.

De plus en plus d'universités et de collèges thaïlandais ont adopté des règles régissant ce que les élèves peuvent ou non porter, et forcent leurs élèves à porter des uniformes, approfondissant et renforçant ainsi les clivages au sein du système de classe. Quels sont les autres pays qui ordonnent à leurs étudiants de porter des uniformes? Dans la plupart des pays pas même les enfants du primaire sont obligés de porter des uniformes. Ce n'est que dans un pays aussi hypocrite que la Thaïlande que les autorités universitaires peuvent prétendre qu'elles savent mieux que les élèves ce qu'ils doivent porter pour leur propre bien.

L'utilisation de plus en plus obligatoire de l'uniforme en Thaïlande va main dans la main avec l'appareil d'Etat pour supprimer la liberté d'expression et la liberté de penser, d'analyser et de générer de nouvelles idées.

Il n'est pas étonnant que les gens venus des classes instruites soient les plus royalistes et les plus cruels et que la plupart d'entre eux soient incapables d'identifier et de corriger leurs propres erreurs. Il n'est pas étonnant non plus qu'ils soutiennent les militaires contre leur propre peuple et encouragent leur premier ministre à utiliser des balles réelles contre les classes inférieures qui osent mettre les pieds dans leurs précieux centres commerciaux.

On m'a dit récemment que je n'aimais pas le pays, n'avais pas la foi dans toutes les institutions thaïlandaises et que je ne devrais pas me dénommer moi-même comme étant une Thaïe, etc.

En Thaïlande, les classes sociales soi-disant instruites font l'erreur de lier la lutte légitime des pauvres pour la démocratie et la justice avec le fait de ne pas aimer le roi et d'être "anti-monarchie". C'est une erreur grave, tragique et extrêmement dangereuse - le résultat d'un système éducatif qui est privé de bonnes notions d'humanité.

La plupart des vêtements que je portais lors de mes quatre années d'université m'ont été donnés par mes sœurs. Mes cheveux étaient coupés par des amis qui avaient appris la coiffure comme passe-temps. Si je ne me trompe pas je n'ai été au cinéma qu'une seule fois durant mes quatre années à l'université. J'ai reçu de l'argent d'une de mes sœurs qui me donnait environ 40% de son salaire. Cela me fournissait trois repas simples par jour et parfois un ticket de bus pour me rendre dans ma ville natale. Elle donnait aussi 40% à mes parents. Pour être en mesure de vivre elle-même elle prenait tous les travaux supplémentaires qu'elle pourrait obtenir. C'est une femme brillante, mais étant plus âgée que moi, elle n'avait aucune chance d'aller à l'université.

C'était moi, la septième enfant, avec mes frères et sœurs aînés au travail, qui a été la première à obtenir cette possibilité et je vais vivre avec cette culpabilité toute ma vie.

Souvent, je ne voyais pas comment je pouvais obtenir mon diplôme et pensais que je devais abandonner. Je me souviens d'une fois où mon frère et moi-même étions arrivé à la porte de ma sœur en même temps car nous avions tant besoin d'argent. Elle cria: "Où pourrais-je obtenir de l'argent pour vous deux?" Et nous avons tous pleuré ensemble.

Etudiant et vivant avec un budget très serré, j'essayais de travailler pendant les vacances d'été, je vendais des nouilles ou menais des enquêtes sur le terrain pour les professeurs. À trois reprises, j'ai demandé et reçu une allocation de formation universitaire (de 2000 à 3000 bahts). J'ai obtenu mon diplôme en 1989. Qui a payé pour mes études? Ma famille pauvre et les contribuables.

Ma vie de militante

Pour une étudiante sérieuse qui n'avait aucune expérience du sexe, mon premier emploi a été difficile: travailler comme assistante de recherche pour un étudiant de doctorat sur les "Impacts du tourisme à Koh Samui".

Koh Samui est la troisième plus grande île de Thaïlande, bien connue des touristes et des routards du monde entier, en particulier des Allemands, des Suisses et des Scandinaves, comme un paradis du sexe, non seulement à l'époque, mais encore également aujourd'hui.

En 1989, Koh Samui traversait une période critique. Des grandes chaînes d'hôtel emménageaient et achetaient les terrains du littoral à un prix de misère, afin de construire des ressorts de luxe. Les agriculteurs et les pêcheurs locaux étaient repoussés dans les montagnes du continent, où ils tentaient de recommencer leur vie, par exemple avec la culture du café.

Il y avait environ 250 hôtels et chambres d'hôtes à Koh Samui et ma tâche était d'en faire le tour et d'interroger les propriétaires, leur personnel ainsi que la population locale.

Da a été ma première amie à Koh Samui, une fille de la même province que moi qui avait vendu sa virginité pour 10.000 bahts (NDT: environ 250 euros). Quand je lui ai demandé pourquoi, elle a répondu rapidement: "La pauvreté à la maison", la pauvreté que je connaissais si bien.

Jan était une cuisinière, une femme d'âge moyen qui avait de bonnes relations parmi les propriétaires de bars. Comme beaucoup de femmes à Koh Samui, elle était à la recherche d'un étranger pour la sortir de sa misère. C'était une femme belle et généreuse, une des femmes les plus charmantes et honnête que je n’ai jamais rencontré. Je n'oublierai jamais sa générosité et ses efforts pour me garder de la folie des touristes. Quand ils nous insultaient avec des phrases du genre: "Je peux acheter toute les femmes que je veux en Thaïlande", je répondais en criant: "Ce n'est pas vrai".

Nui, une propriétaire locale de bungalow, était une "femme bonne" qui avait vécu sa vie avec fierté et intégrité. Son restaurant, au bout de la plage de Lamai, était l'un de nos favoris. Les bars du sexe les plus achalandés se trouvaient à l'autre bout, juste une promenade de 10 minutes, mais je n'ai réussi à l'entraîner là-bas qu'une fois.

Je me déplaçais autour des go-go afin de parler aux filles de bar, parfois en les aidant à traduire ou à rédiger des lettres en anglais. Mon anglais n'est pas bon, mais beaucoup mieux que le leur. Si Jan et Da ne trouvaient personne qui leur plaisait nous traînions ensemble. Certaines nuits, je leur tenais compagnie jusqu'au petit matin, et j'ai quelques beaux souvenirs des trois d'entre nous couchées sur la plage après que les bruyants bars aient fermé, à écouter le bruit des vagues et parler de nos vies et de nos rêves en attendant le lever du soleil.

Je voulais avoir une expérience de travail dans un bar moi-même, Jan m'a trouvé un emploi de serveuse dans un bar animé avec un ring de boxe. Après deux jours, j'ai arrêté parce que je ne pouvais pas supporter de voir des vielles travailleuses du sexe qui, n'ayant pas pu accrocher un client, se battaient entre elles sur le sol pour un billet de 100 baths. Deux femmes qui se battent comme des ennemies pour 100 baths. Quel genre de vie est-ce là?

En 1990, les ONG qui étudiaient sur la situation ont affirmé qu'il y avait plus d'un million de travailleurs du sexe en Thaïlande. Les familles de ces pauvres filles prenaient leur argent pour construire des maisons et des temples plus grands et mieux. Tant que leurs filles envoyaient de l'argent, elles pouvaient encore être accueillies à la maison, mais quand elles ne réussissaient pas à envoyer de l'argent, ou à trouver un étranger qui envoi de l'argent à leurs parents, la stigmatisation de la "mauvaise femme" devenait plus forte et insupportable. J'ai été témoin de beaucoup de filles qui avaient besoin de drogue et d'alcool pour s'acquitter de leurs actions en bikini dans les go-go. Beaucoup avaient des blessures sur les poignets et les bras, toutes ces cicatrices étant une marque de haine profonde.

La personne pour qui j'ai travaillé a obtenu son doctorat, et j'ai réussi à passer l'ensemble de ces 8 mois sans perdre ma virginité.

Ces jours-ci, le commerce du sexe en Thaïlande rapporte de 4 à 5 milliards de dollars américains par an et emploie environ 2,5 millions de travailleurs. Quel genre de pays vit sur le corps et l'âme des femmes grâce au tourisme sexuel?

Après un séjour de deux mois en Australie à apprendre la liberté démocratique avec des étudiants de l'Université de Sydney, j'ai obtenu un emploi à Hong Kong avec le Centre Asiatique des Migrants, une ONG régionale. Mon travail était d'aider les travailleurs migrants thaïlandais, qui s'étaient enfuis de chez de mauvais patrons pour se plaindre à la police, à déposer leurs plaintes à l'Office du Travail de Hong Kong, et à aider les femmes avec de nouveaux contrats de travail à régulariser leur situation avec le Bureau de l'Immigration, si elles pouvaient trouver de nouveaux emplois. Parfois, je me retrouvais au poste de police jusqu'à tard dans la nuit.

C'était un dur travail, mais encore une fois, j'ai rencontré beaucoup de belles, femmes qui travaillaient dur. Les femmes qui avaient sacrifiées des années de leur vie à Hong Kong pour être en mesure d'envoyer de l'argent afin de répondre aux demandes sans fin de leur famille en Thaïlande - pour l'éducation d'un frère ou l'achat d'une moto, les factures d'hôpital de leur père ou, même, pour que leurs nièces puissent aller à l'école. Beaucoup de ces femmes n'ont jamais eu la chance de fonder leur propre famille, et ces femmes d'âge moyen ne pouvaient qu'espérer que lors de leur retour définitif, leurs frères et leurs familles prennent soin d'elles.

Je ne pouvais pas croire qu'un peu plus d'un an après avoir quitté l'université, j'ai pu être en contact avec des milliers de femmes thaïlandaises qui, pour le bien de leurs familles, sacrifiaient leur propre vie et leur bonheur pour assumer des responsabilités sociales qui avaient été classées comme "communistes" par le Royaume de Thaïlande depuis les années 1940.

Santhana

Maintenant, nous pouvons raconter l'histoire de Santhana, une femme de 30 ans, originaire de Thaïlande du Nord qui a été abattue comme une bête sauvage tandis que son copain a été gravement blessé par les tirs des soldats, quand ils sont passés par la zone de combat à Bangkok le 14 mai 2010.

Santhana avait travaillé dans une usine de confection de Taiwan pendant trois ans puis ensuite au Japon pendant trois autres années, tout en étudiant, jusqu'à ce qu'elle soit en mesure d'obtenir un emploi de guide touristique pour une société japonaise, et plus tard un emploi de gestionnaire de transport pour une société d'import-export. Elle a été tuée par l'armée thaïlandaise alors qu'elle était au top de sa vie. Sa famille a perdu son soutien de famille. En guise de compensation, ils ont reçu 50.000 bahts (1.200 euros) de la part du Palais. Comme d'habitude, cette famille n'avait pas d'autre choix que de mettre leur perte sur le compte d'un mauvais karma.

L'histoire de Santhana est terriblement familière, et j'ai été profondément choquée lorsque le gouvernement a massacré 91 personnes dans les rues de Bangkok le mois dernier (NDT: en avril/mai 2010), soi-disant des terroristes armés anti-monarchie.

Durant mes 20 années de militantisme, j'ai rencontré des centaines de milliers de femmes comme Santhana, pas seulement en provenance de Thaïlande, mais de dizaines d'autres pays, des femmes merveilleuse qui avaient fait des réalisations énorme pour le bien-être de leurs familles, et l'économie de leur pays.

Après tout, nos révoltes et la répression sanglante durant les événements sanglants du mois d'avril-mai de cette année (NDT: 2010), qui a vu 91 personnes massacrées par notre élite au pouvoir, sont des preuves terribles de la façon dont le système de classes en Thaïlande s'est développé sans contrôle.

Des doutes croissants

En 1992, j'ai participé à l'insurrection sanglante de mai. Le bruit des bouteilles vides en plastique jetée sur l'asphalte de la rue Ratchadamnoen résonne encore dans mon esprit, un son qui glaçait le ciel et qui démontrait la détermination de la volonté des citoyens d'expulser la dictature.

Après que 48 personnes aient été abattues par l'Armée royale thaïlandaise, le soulèvement s'est terminé par l'intervention du roi, qui a gagné en popularité en sermonnant les généraux militaires et les leaders de la contestation.

Tous ont été amnistiés. C'est la pratique habituelle en Thaïlande pour résoudre les conflits politiques de passer sur les corps de quelques citoyens morts grâce au pardon du roi. La parole du roi est la justice et ... ne veut pas rendre la justice. Le général qui commandait l'armée qui a tué 48 personnes a été gracié et est autorisé à continuer à vivre dans le luxe. Comme tous nos tyrans précédents, et ceux qui ont suivis, ni lui ni personne avant lui, n'ont jamais été jugés pour leurs crimes.

J'ai commencé à me sentir sérieusement perturbée. Cela faisait bien longtemps que le peuple de Thaïlande demandait la démocratie participative et, encore une fois, qu’a-t-il reçu comme réponse? 48 héros de la classe ouvrière assassinés et un Premier ministre royaliste nommé par le roi (pas seulement une fois mais deux fois) - un directeur d’une entreprise de confection de vêtements avec une longue liste de pratiques antisyndicales. Il a été bien accueilli par les universitaires de la classe moyenne et les ONG royalistes. 1992 a été encore un nouveau tournant dans l'institutionnalisation de la corruption politique.

La répression violente de ceux qui luttent pour la justice et la démocratie, ou qui souhaitent penser différemment, n'a jamais cessé, et après 20 ans de travail pour réduire l'écart entre les riches et les pauvres, tout ce que je constate, c'est un élargissement continu de cet écart.

La destruction et le chaos

A nouveau, en 2006, les chars de l'Armée royale thaïlandaise ont défilés bravement à Bangkok en Thaïlande pour voler le peu de démocratie que les gens avaient réussi à obtenir.

Le coup d'État s'est produit lorsque le premier ministre Thaksin était à New York. Il n’est jamais revenu. Avait-il un véritable intérêt à favoriser la démocratie participative?

Immédiatement après que les chars aient pénétrés à Bangkok, j'ai envoyé une déclaration condamnant le coup d'État et participé à des manifestations anti-putsch. J'ai protesté contre le coup d'Etat non pour intérêt pour Thaksin, mais parce que je sentais que ce putsch était une insulte à notre lutte pour la démocratie. Et il l'était. Depuis 2006, nous n’avons vu nulle démocratie, rien d'autre qu’une suite de violents troubles politiques (Voir: http://www.networkideas.org/focus/may2010/fo31_Thailand.htm).

L’aspect positif de ces quatre dernières années (NDT: 2006/2010), c'est que le débat sur le double-standards de la Thaïlande ne peut plus être évité.

Malgré l'imposition de la loi d'urgence et la censure massive mise en place par le gouvernement, plus que jamais, les travailleurs ruraux et urbains discutent du rôle de la monarchie et de la participation du roi, de la reine, du palais royal et des régiments royaux dans la politique thaïlandaise. Ce débat a naturellement conduit à une conscience politique plus grande et plus critique.

Des dizaines de milliers de sites web ont été bloqués par le gouvernement, mais sont souvent rouverts sous des noms modifiés.

En vertu de la loi draconienne de lèse-majesté en Thaïlande (article 112 du Code pénal) "Celui qui diffame, insulte ou menace le roi, la reine, le prince héritier ou le régent, sera puni d'un emprisonnement de trois à quinze ans." Beaucoup de gens sont déjà confrontés à 6, 10, et même 18 ans de prison pour avoir exprimé leurs opinions en ligne et dans des lieux publics (NDT: Aujourd’hui, en 2015, des personnes ont carrément été condamnées à 50 ou 60 ans de prison pour lèse-majesté).

La directrice du journal en ligne Prachatai a été arrêtée et libérée sous caution. Elle fait face à 50 chefs d'accusation. Un site web a été créé pour suivre le sort de ces personnes (http://thaipoliticalprisoners.wordpress.com/)

Des millions de personnes ont commencé à douter que leur amour pour leur roi vaille les insultes et les cicatrices qu'ils recevaient en retour. Parallèlement à la criminalisation officielle de ceux qui sont critiques, et leur victimisation par les factions "Tu aimeras le roi" et "Protéger la monarchie", une critique ouverte du rôle de la monarchie ne pouvait que continuer de croître.

Quel rôle pour la monarchie en Thaïlande?

Au lieu d'essayer d'écouter leurs critiques, le gouvernement royaliste et les institutions du palais ont tenté de les arrêter.

Quand je regarde la Thaïlande en tant que Thaïe et visite les pays qui conservent une monarchie, et quand je réfléchis sur la situation au Népal, je ne peux qu'être étonnée par le fait que la famille royale thaïlandaise n’ait rien appris de ces exemples.

Je me souviens d'un dîner dans un petit restaurant à Oslo. Une femme venait de quitter le restaurant et mon ami m’a dit: "C’est une princesse". La femme est sortie toute seule, personne ne la suivait. Une autre fois lors d'une promenade avec des amis, je me suis retrouvé dans un beau jardin. Quelle surprise, je me trouvais dans un jardin de la résidence du palais et il n’y avait pas un soldat en vue.

À Copenhague, je me promenais avec un ami devant la porte du palais lorsque le prince héritier est sorti en automobile suivi par une seule autre voiture. La route n’avait pas été bloquée pour clarifier le trafic lors de son passage.

En Thaïlande, quand les membres de la famille royale sont en déplacement, à Bangkok ou pour une destination royale comme Chiang Mai, les routes et les passerelles sont fermées par la police pendant 10 minutes ou même parfois 30 minutes avant que la flotte de voitures royale n’arrive, roulant au moins deux fois la limite de vitesse autorisée comme s’ils ne bénéficiaient d’une loi rien que pour eux. Nous sommes habitués à compter le nombre de voitures. Un convoi de 30 voitures de luxe, toutes de la même couleur, est tout à fait habituel pour les membres supérieurs de la famille royale thaïlandaise.

En juillet 2009 il y a eu l'histoire de Bouquet, une enfant de 6 ans qui est morte car elle avait été retardée d'une heure par un blocage royal de la route sur le chemin de l'hôpital parce qu'un membre de la famille royale se rendait à un spa. Le père a demandé aux soldats d'informer la princesse que sa fille était très malade. Son appel a été refusé, alors il a fait un détour par une autre route et a constaté que cette dernière était trop embouteillée. Alors que sa fille mourait à l'hôpital, il a écrit sur le Samesky web-board. Nous avons tous prié pour Bouquet, mais, comme son père l’a dit: "Elle est morte pour qu'une "chanteuse" puisse aller au spa".

Le 13 octobre 2008, une manifestante chemise jaune, une femme qui est morte en attaquant la police royale thaïlandaise qui défendait le parlement, a bénéficiée d’une crémation royale en présence de la reine, de la plus jeune princesse, du Conseil privé, d’Abhisit & co et des principaux chefs de l’armée.

En mai 2010, le commandant d'une division d'infanterie qui est mort lors de la répression des manifestants chemises rouges le 10 avril précédant, a lui-aussi bénéficié d’une crémation royale, en présence de la reine et du prince héritier. La femme de ce commandant décédé était une conseillère du premier ministre [Abhisit]. Les familles des 88 manifestants qui sont morts se sont vu accorder 50 000 bahts (1 200 euros) par le Palais etc…

Où y a-t-il une justice dans tout cela? Il n'y a aucune justice dans tout cela.

Il faut une enquête indépendante sur la violence étatique la plus récente contre des civils en Thaïlande, et l'enquête ne doit pas s'arrêter au gouvernement d’Abhisit. Le rôle de la monarchie dans la répression, et lors des quatre années de chaos politique qui ont précédées cette dernière, doit également être étudié.

Avec tout "l’amour" que la famille royale prétend recevoir [du peuple], pourquoi la monarchie thaïlandaise se comporte-t-elle d'une façon tellement paranoïaque au 21eme siècle?

Pourquoi le palais refuse-t-il de permettre un débat ouvert sur la façon dont les Thaïlandais perçoivent le rôle de leur bien-aimé monarque? Se pourrait-il que le palais lui-même soit tellement embourbé dans le scandale qu'il a peur d'ouvrir ses portes?

La peur du communisme qui a poussé la famille royale thaïlandaise à devenir de puissants alliés des généraux corrompus est compréhensible. Les raisons pour lesquelles la Thaïlande s’est impliquée dans la guerre anti-communiste des États-Unis est bien connue.

Le fait que la famille royale se soit liée d'amitié avec des tyrans comme le maréchal Thanom, qu’elle les a aidé à éviter des accusations criminelles et leur a fourni des lits douillets et des crémations royales, est également compréhensible.

Le fait que la famille royale n’ait jamais défendu Pridi Phanomyong, le père de la démocratie thaïlandaise, qu’en 1947 elle ait soutenu le général qui l'a chassé du pouvoir, qu’elle n’ait jamais donnée son pardon à Pridi, et qu’elle ne lui ait jamais permis de revenir au pays même quand il était devenu un vieil homme, si ce n'est pour une crémation royale mais pour simplement consoler sa famille – ne sont pas compréhensible.

Si le plan d'action économique mis au point par Pridi en 1933 avait été adopté, et non pas rejeté comme étant un programme "communiste", nous ne serions pas confrontés, 78 ans plus tard, à l’horrible phénomène d'une bataille médiévale entre une population frustrée à bout de nerfs et sa hiérarchie monarchique.

Le Plan d'action économique de Pridi visait à atteindre un état de bonheur net grâce au développement des activités de coopération, de protection sociale, de soutien de l'Etat pour l’économie sociale et domestique, favoriser le troc, l'éducation égale pour tous avec un engagement maximum de la main-d'œuvre rurale, soutenir les entreprises d'Etat, ainsi que l'imposition des riches et l'introduction d’un salaire minimum, etc.

Si le plan de Pridi avait été adopté la Thaïlande aurait pu être une véritable démocratie et un exemple de développement durable en Asie du Sud-Est.

Tout récemment, le site www.weareallhuman.net a examiné deux lettres écrites par le roi, l'une au maréchal Pibun et aux royalistes après qu’il ait évincé Pridi, et l'autre au maréchal Thanom après que ce dernier ait organisé le coup d'Etat militaire de 1971. Le coup d'État de 1947 a détruit la constitution la plus démocratique que la Thaïlande n'ait jamais eu. Il a rendu d’énormes pouvoirs à la monarchie, et lui a redonné toutes les anciennes propriétés de la Couronne. Depuis 1947, la Thaïlande est restée sous l'emprise de l'Armée royale thaïlandaise. Pourquoi?

La transition vers la démocratie de l’Espagne à la fin des années 70 (après des décennies de dictature du Général Franco qui avait débuté en 1939 et s'était terminée par la mort de ce dernier en 1975) a généré une animosité considérables au sein des forces armées espagnoles. Cela a abouti à une tentative de putsch militaire le 23 février 1981. Le coup a été contrecarrée par une intervention sans ambiguïté du roi Juan Carlos, portant l'uniforme du Commandant suprême des forces armées espagnoles, diffusée à la télévision. Il a appelé le peuple à soutenir leur gouvernement légitimement élu. Le leader du coup d'Etat a été condamné à 30 ans de prison, et l'action du roi a conduit à un renforcement de la démocratie espagnole et à un respect renouvelé pour la monarchie.

En revanche, depuis 1947, le roi de Thaïlande a personnellement approuvé 7 coups d'Etat militaires réussis.

À tout moment, au cours des 60 dernières années, la maison royale de Thaïlande aurait pu s’engager au côté du peuple pour la lutte pour la démocratie et aider à terminer la chaîne sans fin de coups d'État militaires et de répression violente en Thaïlande.

La violente répression de l'Armée royale thaïlandaise contre le peuple en avril 2010 a poussé la Thaïlande plus loin vers la route glissante et ignoble de celle d’un "état en faillite".

Il est grand temps pour les Thaïlandais de s'engager dans un vaste débat public ouvert sur le rôle de la famille royale thaïlandaise, les institutions du palais, la force militaire énorme dont ce dernier dispose, et sur les problèmes qui découlent de ses pouvoirs absolus et ses privilèges extrêmement coûteux qui ne sont pas du tout en accord avec "l'économie de suffisance" promue par le roi lui-même.

En ouvrant un espace réel pour la critique du public, la famille royale peut encore se sauver elle-même en devenant un véritable acteur dans la prévention de nouvelles violences domestiques et en rendant la justice au pays - sans l'utilisation des bandes militaires ou paramilitaires, qui ne peuvent jouer aucun rôle dans la vie civile d'un pays comme la Thaïlande du 21eme siècle.

Le palais doit permettre à tous les Thaïlandais d’exprimer librement leurs sentiments sur ce qu'ils pensent de leur monarchie, et il doit aussi ordonner la fin de l’obligation de "l'amour du roi" et de la propagande pour "protéger la monarchie".

Depuis le jour où je suis né, la famille royale possédait mon amour, mais lentement elle a perdu cet amour. Lorsque le palais m’oblige à choisir entre l'amour de la famille royale et l’amour du peuple thaïlandais je ne peux que choisir ce dernier. Rien ni personne ne peut rivaliser avec mon amour pour le peuple de Thaïlande.

Quand il s'agit des institutions de la monarchie il y a des questions que les gens devraient être en mesure de débattre sans crainte d'être condamnés a plusieurs années en prison.

Par exemple:

• La richesse du roi thaïlandais n'a cessé d'augmenter au cours des 60 dernières années. Avec des biens évalués à 35 milliards de dollars US, en 2008, Forbes a donné au roi le titre de plus riche monarque au monde. Le peuple thaïlandais doit avoir le droit d'analyser et de discuter de l'immense richesse de sa monarchie par rapport à l’énorme écart croissant entre riches et pauvres.

• Au cours des 20 dernières années, le budget du Palais a été multiplié par 20, passant de 3 millions d'euros (141 millions de bahts) à 65 millions d'euros (2,6 milliards de baht). (Note: la pauvre reine de Grande Bretagne n'a guère vu son budget augmenté en 20 ans et doit gérer ses dépenses avec un maigre budget de 8 millions d'euros.)

• L'utilisation des 150 millions d'euros (6 milliards de bahts) qui sont versé chaque année à partir du budget de l'Etat pour financer les "projets royaux" de la Thaïlande doit être soumise à l'examen du peuple, au débat public et à l'évaluation des citoyens.

• L’article 112 du code pénal doit être supprimé pour le bien du peuple et celui de la monarchie.

• L’intervention du Conseil privé du roi sur la politique doit être interdit.

• Le peuple thaïlandais n’a pas besoin de 60 unités de l’armée comprenant 30,000 soldats pour garder une monarchie qui prétend être aimée par le peuple.

En juin de cette année (2010), le ministère thaïlandais de l'Intérieur, en particulier le Directeur général du Département de l'administration provinciale, a lancé un projet intitulé "bénévoles afin de protéger la monarchie". L'objectif initial était de recueillir 1.000 volontaires dans tous les villages à travers le pays, dans chaque district, y compris parmi les jeunes.

Il s’agit d’une tentative pour unifier le peuple sous la bannière de "Sa Majesté le Roi". Les bénévoles devront protéger la monarchie de leur vie s’il le faut et faire en sorte que la philosophie du roi "d'économie de suffisance" soit mise en pratique à travers le pays.

Le 8 juin (2010), le Directeur général a présidé la cérémonie d'ouverture du projet pour les provinces frontalières du sud, à Yala, avec la participation de plus de 2.000 personnes, y compris des villageois et des responsables locaux. Des cartes d'identification ont été délivrées aux représentants des bénévoles de 33 districts et les participants ont fait un serment d'allégeance devant une photographie de "Sa Majesté le Roi".

Inutile de dire que l'assassinat des chefs de village qui ont participé aux manifestations des Chemises rouge a déjà commencé.

• Il n'y a rien de moins écœurant de constater que chaque citoyen ordinaire doive assister à des réunions afin de rapporter les problèmes des travailleurs et des villageois à l'attention des autorités et que leurs bouches devaient rester fermées devant les déclarations des autorités du genre: "Je suis le serviteur du roi. Je travaille pour le roi". De telles expressions sont utilisées par les autorités comme une méchante arme afin d’inhiber le développement de la population, des autorités que les gens paient pour leur service - pas pour celui du roi qui a plus qu’assez de fonctionnaires pour le servir.

L'utilisation de ce genre de déclarations par les autorités municipales et le gouvernement qui empêche tout débat réel à propos des vrais problèmes, un débat pourtant nécessaire et urgent, devrait être interdite.

• Nombreux sont les groupes pour la protection de l'environnement et/ou de la collectivité locale qui font valoir que si un de leurs projets ne reçoit pas un signe du genre "Ce projet est sous le patronage de tel ou tel membre de la famille royale", ils ne bénéficieront pas de l’aide des agents du gouvernement ni n’auront aucun soutien financier.

Sans patronage royal direct, de nombreux programmes locaux de développement communautaire ainsi que des initiatives de protection de l'environnement sont, de cette manière, commodément ignoré ou interdit par les autorités, malgré le fait qu’ils soient sensible et bien organisé.

• La famille royale a développé des mécanismes sophistiqués pour recueillir d'énormes sommes d'argent provenant de sociétés et de dons publics. Tous les dons que reçoit la famille royale ainsi que leur utilisation devraient être transparents afin que le public puisse être responsabilisé.

• De nombreuses obligations royales concernant la dignité de la société et celle de l'individu devraient être examinées et, pour la plupart d’entre elles, éradiquées, par exemple celle des privilèges de la famille royale qui utilise l'argent public afin de bloquer les routes pour que leurs convois de voitures rutilantes puissant passer sans faire face aux embouteillages; celle qui fait que les gens qui veulent voir un film au cinéma soient obligés de bénir le roi avant le début du film ou sinon d’être inquiété s’ils ne le font pas; celle qui fait que les millions de bahts qui sont pourtant nécessaires aux budgets locaux pour améliorer l’ordinaire des gens, soient consacrés à la construction de palais temporaire afin de recevoir la visite de la famille royale; celle qui fait que ceux qui sont tenus de respecter le roi ou la reine doivent ramper devant leurs pieds quand ils reçoivent leur visite et réciter quelques incantations royales comme: "Que la puissance de la poussière sous la plante de vos pieds royaux protège ma tête et le haut de ma tête" "ใต้ฝ่าละอองธุลีพระบาท ปกเกล้า ปกกระหม่อม Tai-Fa-La-Ong-Thu-Lee-Pra-Bart-Pok-Klao-Pok-Karmom ".

Aujourd’hui, aucune personne sur cette planète n’est la poussière sous les pieds de toute autre personne. Même le Seigneur Bouddha a abandonné son royaume pour devenir égal aux autres.

Ce sont certaines des raisons qui font qu'il m’est difficile aujourd’hui d’aimer le roi.

Le courant "protéger la monarchie" qui cherche à nous mobiliser pour une "économie de suffisance" n’apporte pas la paix car il nous conduit à une guerre civile.

Quand la monarchie et ses institutions voudront-elles être assez gentilles pour accepter, accueillir et soutenir notre lutte pour l'égalité des droits, la justice, la démocratie, les résultats des élections libres et équitables et nos droits fondamentaux de la liberté d'expression et liberté d'association?

Junya Yimprasert, le 12 Juin 2010/2553

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10 janvier 2016 7 10 /01 /janvier /2016 17:43

Un article de Giles Ji Ungpakorn

Lien:

https://uglytruththailand.wordpress.com/2016/01/10/the-long-and-disgraceful-tradition-of-impunity-for-thai-state-murders/

 

En seulement une semaine, la dernière de 2015, la longue et honteuse tradition d'impunité pour les meurtres de l'Etat a été renforcée une nouvelle fois en Thaïlande. Cette semaine-là, l'ancien premier ministre non élu Abhisit Vejjajiva et son homme de main, le voyou d’extrême droite Suthep Thaugsuban, ont été blanchis de toutes leurs responsabilités, notamment celle d’avoir ordonné l'assassinat de sang-froid de près d'une centaine de manifestants pro-démocratie en 2010. Cela n’a pas été une surprise puisque le présent chef de la junte, le généralissime Prayut, avait aussi joué un rôle central dans ce crime d'Etat et a été l’un de ceux qui a eu un pouvoir de décision dans la nomination du gouvernement d’Abhisit contre les souhaits exprimés, en premier lieu, par la plupart des citoyens. Comme justification grotesque de ce crime, ils ont prétendu qu’il était nécessaire de dégager les rues autour des centres commerciaux de luxe. Les manifestants non armés massacrés ne faisaient que réclamer des élections démocratiques.

Lors de cette même semaine, les tribunaux ont classé sans suite l’affaire de longue durée concernant l'assassinat de l'avocat des droits humains Somchai Neelapaijit. Somchai défendait un groupe de musulmans malais qui avaient été torturés par la police pour qu’ils avouent avoir pris part à un raid, afin de voler des armes, qui a été effectué dans une base de l'armée dans le sud. Somchai a été victime d’une "disparition" organisée par des policiers de plusieurs unités différentes, indiquant un feu vert venu d’en haut. Taksin Shinawat était le premier ministre à l'époque. Taksin a également du sang sur les mains suite à l'assassinat délibéré de manifestants non armés à Takbai en 2004.

L'impunité pour les crimes d'Etat en Thaïlande vient d’une longue tradition qui remonte à 1973 et même à au-delà. Aucun fonctionnaire du gouvernement, qu’il soit politique, policier ou soldat, n'a jamais été jugé pour les crimes innommables et violents commis en 1973, 1976 et 1992. Tous ces crimes ont été commis dans le but de défendre les dictatures.

L'impunité pour les crimes d'Etat s’étend également aux acteurs non étatiques qui sont alliés à l'État, comme les foules violentes en 1976, et plus récemment les émeutiers royalistes menés par les Chemises jaunes du PAD, notamment le moine fasciste "Bouddha Issara" et Sutep Teuksuban.

Il est évident qu'il n'y a pas de normes de droits de l'homme en Thaïlande.

Pourquoi est-ce ainsi? L'explication principale est l'attitude conservatrice dominante des élites, une attitude renforcée par la brutalité militaire et qui ne tolère pas le fait que les citoyens doivent être égaux. Les Thaïlandais sont généralement appelés "Ras-sa-don", ce qui signifie "les gens qui vivent dans les terres appartenant au roi". Il s’agit d’un concept périmé et qui est incompatible avec le monde moderne et démocratique.

Dans les lieux de travail, les employeurs pensent qu'ils ont des droits absolus sur leurs employés. Cette attitude est entièrement inscrite dans la législation du travail ainsi que dans l'état d’esprit des juges qui ne parviennent pas à rendre la justice. Lorsque les juges siègent au tribunal, ils regardent les pauvres avec mépris. Les enfants des riches peuvent s’en sortir facilement quand ils tuent des gens parce que "papa" achète les policiers et les juges.

Nous pouvons constater les inégalités dans le langage corporel intégré à la société thaïlandaise. Les gens ordinaires doivent ramper afin de montrer leur respect pour les personnes qui sont au pouvoir ou qui sont leurs aînés. Cette culture grotesque est enseignée dans les écoles et parmi les familles. Dans les ménages de l’élite ils font que leurs servantes rampent devant eux aussi. Ces concepts inégaux peuvent être facilement visibles dans les conversations quotidiennes, en particulier avec les pronoms personnels qui signifient position sociale. Les femmes se voient enseignées qu’elles doivent se faire appeler "Noo" ce qui signifie "petite souris" d'une manière enfantine. Cette idée se contente simplement d’identifier les femmes comme étant des citoyens de seconde classe.

Mais tout cela n’est seulement que la moitié de l'image. L'autre moitié est que la lutte des gens ordinaires contre l'injustice et l'inégalité continue. Ceci se constate par le fait que malgré la violence venu d'en haut, à de nombreuses reprises les dictatures ont été renversés et les élites repoussé. Mais ce qui est nécessaire, plus que tout, est un puissant mouvement social de masse qui puisse établir, pour le long terme, une démocratie durable et des normes élevées de droits de l'homme. Partout dans le monde, et notamment en Thaïlande, les syndicats indépendants ont joué un rôle essentiel dans cette lutte. Sans un tel mouvement, l'impunité pour les crimes de l'Etat se poursuivra. Le "People Power" est la clé ici. L'espoir des universitaires bien intentionnés d'établir une "Commission de la vérité" ne donnera rien sans ce pouvoir.

Nous devons abolir la Commission nationale des droits humains. Cette organisation thaïlandaise est composée de soldats, de policiers et d'universitaires qui ont toujours été contre la démocratie. Un mouvement de masse pro-démocratie, qui pourrait influencer l'opinion publique, serait beaucoup plus efficace qu'une commission des droits de l'homme financé par l'Etat.

Nous devons renverser la puissance physique et politique de l'armée ainsi que l'influence idéologique de la monarchie afin d’envoyer les criminels d'Etat devant la justice. À long terme, nous devons augmenter nos droits dans les lieux de travail, les écoles et les universités et nous devons bénéficier de l'intégralité des droits entre les sexes. Nous avons besoin de la dignité humaine et du respect. Nous devons lutter pour obtenir ces valeurs parce que personne venu d'en haut ne va nous les donner.

Une fasciste chemise jaune thaïlandaise remercie les militaires pour leur coup d’Etat contre un gouvernement élu par le peuple

Une fasciste chemise jaune thaïlandaise remercie les militaires pour leur coup d’Etat contre un gouvernement élu par le peuple

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